Pax Americana 2.0

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L’attaque de Trump contre Huawei ne doit pas nous réjouir. Si l’Europe ne veut pas être un jour victime d’un même diktat de Washington, elle doit unir ses forces dans la recherche et la diplomatie.

Les Etats-Unis étaient les gendarmes du monde. Ils en sont devenus les arbitres. Et cela devrait inquiéter et pousser à réagir Français comme Européens.

Tant que l’Amérique de l’après-Seconde Guerre mondiale protégeait les démocraties occidentales face à la menace communiste, l’Europe ne pouvait se plaindre. En défendant leurs intérêts, les Etats-Unis défendaient aussi ceux du Vieux Continent, avec qui ils partageaient valeurs et intérêts. Mais le monde a basculé d’une guerre froide idéologique à une guerre froide technologique et un fossé pourrait se creuser entre les deux rives de l’océan Atlantique.

L’Amérique de Trump ne cherche pas à défendre les Occidentaux ou le monde. Elle cherche à défendre ses intérêts. Le gendarme américain défendait son camp, mais pas seulement. L’arbitre américain n’a, lui, rien d’impartial : il arbitre en faveur de son équipe en fixant de manière unilatérale des règles auxquelles tout le reste de la planète se doit d’obéir sans disposer du moindre droit de recours ni de la capacité à vérifier que le camp américain respecte bien les règles qu’il impose aux autres.

Les banques européennes, qui ont déjà eu à verser des milliards de dollars d’amende au fisc yankee pour avoir, par exemple, enfreint l’embargo de Washington concernant l’Iran, avaient déjà eu à se plaindre de l’extraterritorialité de la justice américaine. Après l’équipementier télécom ZTE l’an dernier, c’est cette année à son concurrent Huawei, accusé de cyber-espionnage, d’être la victime d’un décret présidentiel signé à la Maison-Blanche . Un décret qui, en privant le leader de la 5G des moindres composants made in USA, risque de fragiliser Huawei bien sûr, mais aussi tous les opérateurs qui comptaient sur ce fournisseur pour déployer leurs futurs réseaux à très haut débit.

Pour les Européens, ce bras de fer américano-chinois doit servir d’avertissement. Certes, l’Europe pourrait se féliciter de voir les Etats-Unis fragiliser un concurrent de Nokia et d’Ericsson. Mais notre victoire risquerait de n’être que de courte durée. La vérité est que nous avons basculé dans un monde ultra-technologique ; un monde dans lequel, bientôt, plus rien ne pourra fonctionner sans certains composants ou logiciels. Or, rien ne dit qu’après avoir sanctionné la Chine, les Etats-Unis ne pourraient pas un jour frapper des entreprises européennes. Au nom de notre souveraineté, nous ne pouvons pas faire le pari qu’une Amérique – même post-Trump – sera un allié totalement fiable. Pour redevenir maître de notre destin technologique et peser en cas de bras de fer, nous n’avons pas d’autre choix que d’investir en commun et de nous unir. Les élections européennes doivent aussi être l’occasion de défendre cette vision.

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