Comment Trump ment à l’Amérique
Le débat démocratique est devenu indigne aux États-Unis. Il ne reflète plus les valeurs ni des institutions, ni de la constitution, ni de l’esprit américains. Depuis son avènement en janvier 2017, Donald Trump a plongé son pays dans un état de déliquescence morale, éthique et politique; seule l’économie est préservée. Il n’y a plus de vérité, même mathématique, qui tienne. Le mensonge est devenu une seconde nature, le déni, une culture. Ainsi s’est installée une confusion totale entre faits et opinions.
Dès la prestation de serment du nouveau président, on a compris que le champ des références les plus élémentaires serait bouleversé. Parce qu’il n’y aurait tout simplement plus de références, que la vérité s’effacerait définitivement au profit de vérités multiples qui se déclinent comme autant de points de vue. Première polémique présidentielle au lendemain de la cérémonie d’inauguration. Trump affirme que le public fut bien plus nombreux à sa prestation de serment qu’à celle de Barack Obama. Erreur factuelle, vérifiée par un comptage qui ne laisse place au moindre doute. Pas de quoi troubler Trump. Son porte-parole explique que la déclaration du président relève d’un «fait alternatif». La messe est dite. Le fait alternatif, autrement dit le mensonge, est entré de plain-pied dans la présidence.
Avant le milliardaire, d’autres présidents ont engagé des batailles féroces avec la presse, mentant sans vergogne. Richard Nixon, forcé à la démission par l’affaire du Watergate, en est l’exemple le plus percutant. Jamais pourtant, le mensonge flagrant n’a pris pareille ampleur et jamais les coups ne furent portés aussi bas à un rythme aussi effréné. La Maison-Blanche diffuse les fake news en streaming. Au dernier recensement réalisé par le «Washington Post», Trump vient de franchir la barre des 10 000 mensonges et fausses affirmations. Comble de l’ironie, c’est le président qui accuse quasi au quotidien les médias de mentir. Contrairement à ces derniers, il n’en fait jamais la démonstration. Sur un mode enfantin, Donald Trump accole systématiquement à leur nom ou à celui de leurs journalistes les deux mots «fake news».
La raillerie est devenue la distinction de cette présidence. Elle est partie intégrante de la stratégie de communication qui elle-même se trouve au cœur de la politique Trump. Le sommet fut atteint lorsque le président a déclaré dans un tweet que le «New York Times est l’ennemi du peuple». Une accusation grave et sans précédent au pays de la liberté de la presse, qui renvoie à la rhétorique de Staline. Une déclaration de guerre mais avant tout une déclaration de haine, l’insulte étant un autre pilier de son marketing politique. Mensonges et mépris: le cocktail est ravageur. Jamais fossé entre les deux Amériques, celle des conservateurs et celle des progressistes, ne fut plus profond. Les chaînes d’informations en continu se sont calées sur la même ligne de fracture. D’un côté, Fox News à la botte du président, de l’autre, CNN et MSNBC clairement en opposition à Trump. La presse elle aussi est cataloguée en pro et anti-Trump. Les deux géants historiques de la presse politique, le «New York Times» et le «Washington Post», se positionnent à «gauche». Leurs enquêtes respectueuses des règles du genre restent d’une remarquable qualité. Mais la systématique et le nombre sidérant de papiers à charge n’a d’équivalent que l’avalanche des tweets du président.
Dans cette configuration, le débat politique est devenu vain. Il relève davantage des croyances que des arguments. Deux camps irréductibles et imperméables à l’autre se font face. Ils ne se parlent plus, ne s’écoutent plus. Les deux parties de la société américaine ont perdu le contact. Plusieurs sondages réalisés par l’institut d’enquête et de sondage indépendant Pew Research Center en attestent. Chaque camp s’est replié dans sa bulle, proposant des réalités fondamentalement différentes. En corollaire: perte de confiance croissante dans le gouvernement et dans les médias. Le «buzz» des réseaux sociaux a progressivement remplacé la notion d’informations vérifiées. Comment dans ces circonstances réussir à échafauder une politique commune basée, comme en Suisse, sur la nécessité de trouver un consensus.
La machine politique est aujourd’hui grippée. Elle fabrique de la polémique au lieu de produire des décisions. À défaut de vision, Trump travaille par obsessions: construire le mur anti-immigrants, affaiblir les concurrents économiques des États-Unis, neutraliser quelques régimes dits voyous, réduire au silence ses ennemis intérieurs. Au Congrès, les démocrates se déchirent sur la nécessité de lancer une procédure de destitution. Un débat qui les absorbe au point de négliger la poursuite des engagements pour lesquels ils ont été élus.
Les États-Unis ont perdu leurs marques. Et bien des Américains ne se reconnaissent plus dans leur pays. Donald Trump n’en porte pas seul la responsabilité. Mais son mépris des faits, son imprévisibilité, son agressivité viscérale, son incontinence communicatrice, ainsi que son absolutisme égocentrique ont créé les conditions du désastre. Le cyclone trumpien aspire tout et ne restitue rien.
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