En franchissant dimanche à Panmunjom la ligne de démarcation en compagnie de Kim Jong-un, Donald Trump est devenu le premier président américain en exercice à mettre le pied en Corée du Nord. L’événement est forcément historique, emblématique… Reste que ces deux-là aiment faire leur cinéma et qu’après tout, le charme qu’ils prétendent exercer l’un sur l’autre est encore loin, au-delà d’un salutaire mais fragile apaisement, d’avoir donné des résultats probants sur l’enjeu central de la « dénucléarisation ».
Il y a tout de même lieu d’être prudemment optimiste au vu de leur nouvelle et chaleureuse poignée de main. Le symbole est fort parce que les présidents américains qui se sont rendus dans la zone démilitarisée (DMZ) avant lui n’y sont jamais allés dans une perspective de rapprochement. Si ensuite son approche en politique étrangère est, dans l’ensemble, tout sauf nuancée — l’homme soufflant le chaud et le froid de manière caricaturale —, il est possible que M. Trump commence à reconnaître avec le dossier délicat de la Corée du Nord qu’il peut arriver que la stratégie des petits pas soit utile en diplomatie. Il n’y a qu’à espérer qu’il arrive bientôt à en mesurer la valeur dans ses rapports belliqueux avec l’Iran.
Rien de tout cela ne serait peut-être encore arrivé sans la médiation patiente et assidue du président sud-coréen, Moon Jae-in, élu en 2017 avec le projet de pacifier durablement les relations intercoréennes, cryogénisées pour la plus grande partie des 70 dernières années. M. Moon est un acteur et un intermédiaire précieux en cette affaire. Il se peut d’ailleurs que ce dernier, encourageant M. Trump à rencontrer dimanche son homologue nord-coréen, lui ait fait valoir qu’après la visite effectuée par Xi Jinping à Pyongyang il y a moins de deux semaines, la première d’un président chinois en Corée du Nord en quatorze ans, il serait de bonne guerre d’aller à son tour dire « hello ! » à M. Kim, question de contrecarrer l’influence de Pékin. Auquel cas M. Kim et son régime totalitaire ont à nouveau fait la preuve que, courtisés d’un côté comme de l’autre, ils ont encore réussi à jouer les États-Unis contre la Chine.
Toujours est-il qu’après l’échec en février dernier du sommet de Hanoï, qui avait pris fin abruptement sans la moindre avancée, le minisommet de dimanche a débouché sur l’annonce par M. Trump que les discussions entre négociateurs des deux pays vont reprendre « d’ici deux à trois semaines ».
Reprise du dialogue ? Mais sur quelles bases ? Les États-Unis n’ont jamais jusqu’à maintenant dévié de leur position consistant à exiger avant toute chose une « dénucléarisation complète, vérifiable et irréversible » de la République populaire démocratique de Corée (RPDC), une condition que maints experts jugent depuis un certain temps totalement irréaliste, vu les progrès accomplis par la Corée du Nord pour se doter de l’arme nucléaire.
C’est ce qui, de toute évidence, avait fait que le sommet de Hanoï avait tourné court : pour avoir suspendu ses essais nucléaires et balistiques, Pyongyang attendait de Washington des concessions qui ne sont pas venues.
Or, les États-Unis donnent à ce chapitre des signes d’assouplissement — ce qui servirait les intérêts de M. Kim, dirigeant, soulignons-le au passage, d’un régime dont la nature extrêmement répressive ne trouble manifestement en rien la conscience du président américain.
Dimanche, le silence de M. Trump sur l’exigence de dénucléarisation « complète » était donc éloquent, tandis qu’en conférence de presse à Séoul, le représentant spécial américain pour la Corée du Nord, Stephen Biegun, a fait état d’une reprise du dialogue fondée sur l’idée de « progrès simultanés et parallèles ». La formule est générale, mais elle accrédite la nouvelle du New York Times voulant que le gouvernement américain envisage qu’en échange, dans un premier temps, du seul gel du programme nucléaire nord-coréen, les États-Unis accepteraient, entre autres choses, d’apporter des allégements aux dures sanctions qui étranglent ce petit pays de 25 millions d’habitants aux prises avec ses pires récoltes en dix ans.
C’est dire que l’idée fait son chemin à Washington d’une approche plus étapiste, au grand dam du faucon John Bolton, conseiller à la sécurité nationale du président. Une porte s’est entrouverte. Mais le restera-t-elle ?
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