Was the El Paso Shooting Caused by ‘Economic Alienation’?

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Lorsque Donald Trump a été élu en novembre 2016, un nombre incalculable de personnes de par le monde étaient sous le choc. Jusqu’à la dernière heure, elles avaient refusé d’y croire. Puis, on a cherché à comprendre. Sur toutes les chaînes, toutes sortes de personnalités ont dénoncé l’arrogance des élites libérales américaines et le sentiment d’aliénation économique d’une classe moyenne toujours sous les coups de la crise de 2008. On parlait d’une frustration populaire face à la mondialisation, et d’une incapacité des démocrates à répondre aux besoins des cols bleus de l’Amérique « profonde ».

Tout de suite, d’autres voix se sont élevées, principalement noires, latinos, musulmanes, juives, pour dénoncer le rôle du racisme et de la suprématie blanche dans les appuis populaires à Trump. Sous-représentées dans les médias grand public, ces perspectives ont cherché à mettre en garde la population contre la théorie de l’aliénation économique. Quand le profil démographique des électeurs républicains a été rendu public, on a pu voir qu’ils avaient raison. Les Américains les plus riches ont voté pour Trump en plus grande proportion que les plus pauvres. Les hommes blancs avec un diplôme universitaire ont voté en majorité pour Trump. Et malgré toutes les accusations d’agression sexuelle qui avaient fait surface durant la campagne, une majorité de femmes blanches américaines ont voté pour Trump. À l’opposé, les minorités raciales ont surtout appuyé le camp démocrate. Plus de 94 % des femmes afro-américaines ont voté pour Hillary Clinton.

Malgré tout, la théorie de l’aliénation des classes ouvrières a continué de tenir et de servir de base à un nombre incalculable d’essais, de lettres ouvertes et de billets. Pourquoi les femmes noires, « aliénées économiquement » depuis le temps des treize colonies, sont-elles aussi celles qui appuient le moins Donald Trump ? Mystère et boule de gomme. Pourquoi, alors que Trump parlait ouvertement durant sa campagne des Mexicains comme des violeurs, a-t-on cherché à minimiser le rôle du racisme dans son élection ? La difficulté des journalistes blancs — même progressistes — à aborder les questions raciales y serait-elle pour quelque chose ? Le peu de place accordée dans les médias aux personnes qui maîtrisent les questions de racisme — principalement des personnes elles-mêmes racisées — a-t-elle contribué à la mauvaise information du public ? Poser ces questions, c’est y répondre.

Le problème n’est par ailleurs pas exclusivement américain : au Canada aussi, le débat public sur la campagne de nos voisins du sud a fait écho au discours sur la frustration économique des hommes blancs qui minimise la dimension raciste de l’idéologie promue par Trump. Comme si la nostalgie du « bon vieux temps » contenue dans le slogan « Make America Great Again » pouvait s’adresser à quiconque sinon un public blanc. Quels autres Américains (ou Occidentaux, d’ailleurs) peuvent associer le passé avec la belle vie ? L’évidence n’a toutefois pas été décelée par tous, loin de là.

Près de trois ans plus tard, on doit faire sens au massacre d’El Paso. Et le massacre d’El Paso fait suite aux attentats dans l’église afro-américaine de Charleston, dans des synagogues à Pittsburgh et en Californie, et dans le club LGBTQ et latino d’Orlando. Avant El Paso, il y a aussi eu le rassemblement néonazi à Charlottesville, le passage du gourou de l’extrême droite Stephen Bannon comme stratège en chef à la Maison-Blanche, le « Muslim ban », l’obstination à construire un mur motivant le plus long shutdown de l’histoire, les déportations massives, des enfants d’Amérique centrale détenus dans des cages, et une quantité innombrable de déclarations racistes de la part du président américain. Parallèlement, on a vu bien peu de mesures soulageant l’« anxiété économique » du monde ordinaire. Petit à petit, on finit par comprendre. Mais pas encore tout à fait.

Au Canada, une grande partie de ceux qui peuvent admettre une partie du problème au sud minimise son existence ici. Bien sûr, chaque pays a ses particularités. Mais les discours qui cherchent à motiver les inégalités des uns et des autres, réelles et devant la loi, remontent partout en Occident, aux États-Unis et ici aussi. Il s’agit là d’un défi majeur de notre époque, avec les changements climatiques. Je ne sais pas ce qu’il faudra encore pour qu’on cesse de considérer ces questions comme un sujet de « niche » ou une obsession militante.

Nous sommes à la veille d’une élection fédérale, qui oppose un Parti conservateur qui faisait campagne il y a quatre ans sur la chasse aux « pratiques culturelles barbares » à un homme, Maxime Bernier, qui trouve que sa famille politique n’allait pas assez loin et semble s’inspirer directement de Donald Trump pour alimenter son compte Twitter. Et puis, il y a Jagmeet Singh : ce sera la première fois au Canada que l’un des principaux partis est mené lors d’une campagne par une personne racisée, qui porte un signe religieux de surcroît.

Réalise-t-on tous les risques de dérapages ? Quelle place fera-t-on à quelles voix durant cette campagne ? Est-on véritablement prêts à comprendre et à analyser ce qui s’y passera ? Ou est-ce qu’on se réveillera petit à petit, quelques années trop tard, avec un gros mal de tête, et un pays « great again » ?

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