Donald Trump and the Normalization of Conspiracy Theories

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Donald Trump et la normalisation des théories du complot

Réagissant à la mort de Jeffrey Epstein, le président américain s’est fait l’écho – une nouvelle fois – d’une théorie du complot fumeuse. Une fâcheuse habitude qui n’est pourtant pas sans conséquences, nous explique Camille Lopez.

Samedi, Donald Trump a relayé une théorie du complot accusant les Clinton d’avoir assassiné Jeffrey Epstein. Le président américain réagissait à la mort du financier américain, retrouvé pendu dans la cellule qu’il occupait dans l’attente de son procès pour des agressions sexuelles présumées sur mineures.

Personne n’a été surpris. Et c’est un problème.

«Mort par suicide alors qu’il était sous surveillance préventive? Yeah, right! Comment est-ce que ça se peut? Jeffrey Epstein détenait de l’information sur Bill Clinton et maintenant il est mort», avait écrit un peu plus tôt le comédien Terrence Williams sur Twitter. Les mots-clic #ClintonBodyCount et #ClintonCrimeFamily complétaient son tweet. Quelques instants plus tard, le message était partagé par le compte de Donald Trump.

On peut interpréter ce retweet de trois façons :

1. Le président des États-Unis endosse une théorie du complot démentie à plusieurs reprises dans les dernières décennies;

2. Le président des États-Unis endosse une théorie du complot qui accuse un ancien président et une rivale politique de meurtre;

3. Le président des États-Unis endosse une théorie du complot qui remet en question sa propre administration, son propre système de justice.

C’est beaucoup à déballer. Dans n’importe quel autre contexte, ces propos auraient valu au président américain (ou à n’importe quel acteur politique) beaucoup plus que quelques froncements de sourcils.

Mais voilà, cette théorie alarmiste est la dernière d’une longue lignée de complots relayés par Trump. Au fil de ses tirades, le leader du pays le plus puissant au monde nous a habitués à ce genre d’énormités. Et au lieu de réagir adéquatement, on se retrouve de plus en plus désensibilisés face à ces propos dangereux et sans fondement.

Mettez une grenouille dans l’eau chaude et elle s’échappera sur-le-champ. Chauffez son eau progressivement et elle finira par mourir ébouillantée.

Bref retour sur une habitude qui ne date pas d’hier.

Rappelons que toutes les conspirations nommées plus bas sont sans fondement et ont été démenties à de nombreuses reprises.

Selon un billet de Snopes paru en 1998, on doit la théorie du «Clinton Body Count» (ou Clinton Body Bags) à Linda Thompson, une avocate qui a compilé en 1993 une liste de 34 personnes proches des Clinton qui seraient mortes de façon suspecte. Plusieurs versions différentes de cette liste, intitulée « Clinton Body Count : Coincidence or the Kiss of Death? », circulent encore. Thompson a admis qu’elle n’avait aucune preuve directe sur laquelle appuyer ses accusations.

La théorie du complot refait surface une fois de temps en temps. La mort de Seth Rich l’a dépoussiérée en 2016. Même chose ces jours-ci avec le suicide d’Epstein.

Donald Trump l’a propulsée sur l’espace public comme personne.

Ce n’est pas sans rappeler son obsession pour le certificat de naissance de Barack Obama. Dès 2011, l’actuel leader des États-Unis contestait régulièrement la nationalité américaine de l’ancien président américain. Alors magnat de l’immobilier, Trump était le visage le plus connu des birthers, ces conspirationnistes convaincus qu’Obama est né au Kenya, et non à Hawaï, rendant sa présidence illégitime.

Pendant près de trois ans, Donald Trump publiait assidûment des accusations en ce sens sur Twitter.

Le 45e président américain a fini par admettre, en 2016, que Barack Obama était bel et bien né aux États-Unis.

La même année, Trump déclarait qu’il trouvait suspecte la mort d’Antonin Scalia, juge de la Cour suprême américaine. L’événement avait engendré son lot de théories du complot accusant divers démocrates et républicains d’avoir ordonné son assassinat.

Toujours lors de sa campagne électorale, en 2016, le président américain avait relayé l’histoire non fondée selon laquelle le père de son adversaire Ted Cruz était lié à la mort de John F. Kennedy. L’histoire avait été publiée sans preuve par The National Enquirer, un tabloïd américain.

L’année suivante, Trump accusait faussement Barack Obama d’avoir mis la Trump Tower sous écoute. Des allégations qui ont été démenties par le FBI et la National Security Division.

Au cours des trois dernières années, le président, qui a perdu le vote populaire lors de son élection, a répété régulièrement à qui veut l’entendre qu’au moment du scrutin en 2016, des millions d’électeurs californiens avaient voté plusieurs fois. Il n’existe aucune preuve appuyant ces accusations de fraude électorale.

Il est dangereux de croire qu’un retweet du président américain est sans conséquence, banal. Et ce, même si son passé, lourd d’accusations non fondées, nous porte à croire que cette situation est normale.

Mais l’univers des théories du complot est un univers où l’on se radicalise facilement. Rapidement. C’est un univers où chaque tweet du président est perçu comme un message codé, un indice.

Chaque conspiration mène à une autre, puis à une autre, plus radicale, puis à une autre, encore plus radicale, puis à une autre, qui appelle à la violence.

Le monde ne tourne pas autour de Twitter. Et Twitter n’est définitivement pas une représentation juste de notre société. Mais il ne faut pas banaliser les mouvements qui s’y développent. Comme ces théories complotistes, dangereuses, qui s’y réfugient et attirent, éventuellement, l’attention de nouveaux fidèles.

Et on doit particulièrement surveiller ceux qui les amplifient.

Surtout quand l’un de ces amplificateurs a 63 millions d’abonnés Twitter. Et qu’il est le président des États-Unis.

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