How Mass Shootings Serve Political Polarization

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Comment les tueries de masse servent la polarisation politique

Les récentes tueries de masse aux États-Unis ont de nouveau fait ressurgir les interminables guéguerres politiques entre clans rivaux. À gauche, on se désespère que la droite pointe la maladie mentale comme unique cause explicative de ces attaques. À droite, on sourcille devant toute explication sociopolitique, comme le racisme systémique ou la radicalisation. Il est désolant de voir que ces tragédies, au lieu de susciter une réflexion sérieuse, donnent lieu à ces enfantillages et à une guerre d’insultes dont le but est non pas de comprendre, mais de marquer des points.

Le problème, c’est que la politique et la recherche de la vérité sont antinomiques. Cette opposition entre la rhétorique politique et la quête de la vérité est connue des philosophes depuis Platon. À partir de cet éclairage, on comprend mieux que les bruits qui sortent de la bouche des politiciens n’ont pas pour objectif d’analyser la situation ou de relever les causes profondes, mais de plaire à une base militante ou aux riches donateurs et, bref, de compter des buts émotifs dans l’arène politique. Quand Donald Trump et ses acolytes disent que les tueries sont l’oeuvre d’individus « dérangés » ou « fous », il ne s’agit pas d’un diagnostic. Il s’agit d’une manoeuvre politique pour éviter de parler des deux sujets qui desserviraient l’actuel locataire de la Maison-Blanche : le contrôle des armes et sa responsabilité dans la montée des tensions raciales aux États-Unis.

Pendant ce temps, à gauche, on voit des gens écrire que toute explication psychologique est automatiquement un signe d’appartenance à la « droite populiste ». On ne connaît pas encore les motivations précises des tueurs d’El Paso et de Dayton, mais on sait que la radicalisation est vraisemblablement en cause dans au moins l’un des cas. Ce qu’on appelle la radicalisation idéologique est un phénomène psychologique digne d’intérêt et un objet d’étude parfaitement légitime ; de dire qu’il n’y a aucune explication psychologique est simplement absurde. Mais la radicalisation est un phénomène complexe qui n’implique pas nécessairement un diagnostic de santé mentale, tel que défini par la psychiatrie moderne.

On sait, par exemple, que les gens qui adhèrent à des groupes de suprémacistes blancs ou des groupes sectaires religieux sont transformés en profondeur par ces expériences. On parle de reprogrammation : l’idéologie néonazie (ou religieuse) vient chambouler les valeurs de la personne en reconfigurant son rapport aux autres, à l’autorité, son sentiment de justice et d’injustice, sa place dans le monde, son identité, etc. Ces nouveaux programmes agissent ainsi comme des malwares — ou antiprogrammes — qui court-circuitent les programmes « normaux » des nouveaux adeptes. Voilà pourquoi il est plus facile de convertir les enfants ou les adolescents et pourquoi les groupes sectaires ont tendance à déraciner et à isoler les adeptes : pour que ceux-ci ne soient en contact qu’avec la seule trame narrative de l’idéologie. Cet isolement peut être physique, mais il est aujourd’hui aussi virtuel : alors que Jim Jones avait choisi le Guyana dans les années 1970 pour installer sa secte, les idéologues d’aujourd’hui choisissent 8chan et le vase clos du Dark Web.

Les causes de ces radicalisations et les raisons expliquant que certaines personnes y sont plus vulnérables demeurent multiples et complexes : sentiment d’infériorité, d’injustice devant un monde qu’on ne comprend plus, incapacité de se projeter dans le temps, haine de soi, ressentiment professionnel ou amoureux, dépression, etc. L’idéologie violente vient alors fournir toutes les « réponses » et identifier tous les « coupables » pour transmuer la haine de soi-même en haine de l’autre. Ajoutons à cela l’accessibilité — absolument criminelle — aux armes à feu, et ce n’est qu’une question de temps avant que l’irréparable se reproduise.

L’augmentation récente des tueries de masse est aussi fortement corrélée avec les nouvelles technologies qui agissent comme un mégaphone pour des gens idéologiquement vulnérables. On ne peut qu’applaudir la décision de plusieurs médias de ne plus nommer les tueurs, de ne plus parler de leur modus operandi ni de leur histoire personnelle. En attendant un meilleur contrôle des armes à feu et la fermeture des canaux de recrutement du Dark Web, c’est la meilleure prophylaxie pour retirer l’un des principaux incitatifs de ces passages à l’acte : celui de mourir célèbre en inscrivant son nom dans le grand livre sanglant de l’infamie.

Il ne reste plus qu’à espérer qu’en ces temps de crise, une véritable réflexion sur les causes et les solutions ne sera pas, une fois encore, enterrée par la cacophonie des déclarations d’allégeance et des règlements de compte provoquée par ceux qui font de la petite politique leur gagne-pain.

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