Murals Under Threat in the United States: Should History Be Erased?

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Une fresque menacée de destruction aux États-Unis: «Faut-il effacer l’histoire?»

FIGAROVOX/TRIBUNE – Une fresque de 1936, peinte dans un établissement scolaire de San Francisco, est menacée de destruction: la commission scolaire la juge raciste. Pour la juriste Isabelle Feng cette décision témoigne d’une incompréhension du sens artistique de cette œuvre et d’une atteinte à la liberté de création.

Isabelle Feng est chercheuse au Centre Perelman de Philosophie du droit à l’Université libre de Bruxelles.

Lors d’une journée portes ouvertes, le 1er août, le lycée George Washington de San Francisco a attiré plus de retraités, d’historiens ou d’artistes que d’écoliers. Le public était là pour voir la fresque «la vie de George Washington», peinte par le muraliste Victor Arnautoff en 1936.

Il est bien possible que ces curieux soient les dernières personnes à avoir l’opportunité d’admirer l’œuvre qui orne le hall de l’établissement public depuis 83 ans. Jadis jugée pédagogique et novatrice, la fresque se trouve aujourd’hui en disgrâce au milieu d’une vive controverse nationale: le Conseil scolaire de la ville a voté à l’unanimité la destruction de cette peinture dans le but de combattre le racisme. Parmi les treize panneaux qui forment cette fresque de 150 mètres carrés dont la majorité représente la vie de Washington, on peut observer un Indien allongé par terre et quelques personnes dont la couleur de peau est noire travaillant dans les champs. Y figurent également trois soldats français, visiblement venus en renfort pour combattre des colons anglais.

Pour justifier sa décision d’effacer la peinture, plus précisément, de la couvrir de peinture blanche (whitewashing), le Conseil scolaire a affirmé que les élèves doivent être éduqués dans un environnement «sûr» et ne pas être exposés aux «images violentes», parce que, selon les mots du vice président dudit Conseil, ces images sont «dégradantes». Soupçonnée d’être une source de violences racistes aux yeux de certains élèves, la fresque devrait disparaître.

D’où l’absurdité de l’affaire: en peignant le père fondateur du pays dans son statut de propriétaire d’esclaves noirs, l’artiste d’origine russe avait à dessein de dénoncer un des volets sombres de l’histoire des États-Unis – l’esclavagisme -, et le racisme. Missionné par le Work Progress Administration dans le cadre du New Deal, Arnautoff qui fut communiste, est connu comme un artiste de gauche. Quand l’œuvre antiraciste d’un peintre classé de gauche devient, en l’espace de moins de cent ans, la cible d’attaque d’activistes de gauche au nom du combat antiraciste, le politiquement correct à l’américaine s’offre un nouveau twist spectaculaire.

Faut-il effacer l’histoire pour mieux vivre au présent? Peut-on s’octroyer le droit de condamner une création artistique d’antan sous prétexte qu’elle offense la conscience des hommes d’aujourd’hui? Visiblement, dans le pays de l’Oncle Sam, une bonne partie de la population penche pour une réponse doublement positive. À juste titre, on pourrait s’interroger sur le bien-fondé, dans un futur plus ou moins proche, de changer le nom de l’État de Washington ou de bannir la lecture d’Autant en emporte le vent, dont l’auteur, Margaret Mitchell, minimisait, si ce n’est glorifiait, l’esclavage noir.

Face à l’imminente destruction de la fresque, tout espoir de la sauvegarder ne semble pas perdu et une pétition est désormais en cours, lancée par un groupe d’artistes et d’universitaires. La critique d’art Roberta Smith s’interroge dans le New York Times, «À qui appartient une œuvre d’art?», citant l’artiste mexicain Rivera: «Si quelqu’un achète la chapelle Sixtine, a-t-il le pouvoir de la détruire?»

Il est tout aussi intéressant de noter que, dans les années 1960, les Black Panthers avaient déjà milité pour la destruction de cette peinture et même mandaté un jeune artiste noir, Dewey Crumpler, pour repeindre le mur avec des personnages «racisés» et «positifs». Ce dernier, ayant compris le geste politique d’Arnautoff, déclina la commande. Aujourd’hui, Crumpler appelle à la préservation de la fresque, tout comme l’influente Association nationale pour la promotion des gens de couleur (NAACP), refusant que le passé du peuple noir soit «blanchi».

Cet épisode n’est que le dernier d’une longue série, où la question de la race – ce mot supprimé de la Constitution française depuis 2018 – se mêle à l’art. On se souvient de l’épisode édifiant de l’exposition new-yorkaise de l’artiste (blanche) Dana Schutz qui avait osé s’inspirer de la souffrance noire – le meurtre d’un adolescent noir, Elmett Till, par les suprémacistes blancs en 1955 – pour créer son tableau «Open Casket». Ce qui mit en colère la communauté artistique noire qui demanda la destruction de l’œuvre sous prétexte qu’un artiste blanc ne peut comprendre la souffrance des noirs et ne fait qu’en tirer des profits. À entendre les détracteurs de Schutz, on dirait que la couleur de peau détermine la créativité de l’artiste. Pourtant quand l’acteur Adrian Lester endossa le rôle-titre d’Hamlet dans un théâtre parisien, sans maquiller son visage en blanc comme ce fut le cas au 19e siècle, les amoureux de Shakespeare ne semblaient guère émus de découvrir le visage noir, au sens propre, du prince de Danemark.

C’est à croire que de l’autre côté de l’Atlantique, la liberté d’expression et de création prévaut, encore, sur les querelles communautaires, comme le démontre l’affaire du Blackface à la Sorbonne qui éclata au printemps dernier quand une pièce d’Eschyle fut boycottée par des associations antiracistes parce que les comédiens portaient des masques de personnages noirs. Le rejet des accusations de racisme fut presque unanime: le milieu artistique fustigeait une censure intégriste et identitaire tandis que le ministre de la culture français condamnait cette atteinte à la liberté de création. Il s’agit là peut-être d’une exception française? Réclamée par des militants de gauche américaine, la destruction de la fameuse fresque est d’ailleurs jugée de mauvais goût par la gauche hexagonale. Dans le Monde Diplomatique , Serge Halimi qualifie ceux qui décident de supprimer l’œuvre d’Arnautoff de «talibans de San Francisco».

Pour les défenseurs de la fresque, ce qui s’est passé en 2015 à l’Université Oxford pourrait être une bonne dose d’optimisme. Lancé par un groupe d’étudiants sud africains, le mouvement RMF («Rhodes Must Fall») réclamait que la statue de Cecil Rhodes, philanthrope et homme d’affaires archétype du colonialisme anglais, soit retirée du campus et ceci pour soit mieux prendre en compte la culture «non-blanche». Entre-temps, l’État islamique procédait à la destruction de monuments historiques en Syrie, en Lybie et en Irak, ce qui avait probablement pesé dans la délibération de l’Université anglaise qui finit par adresser une fin de non-recevoir au RMF. Aujourd’hui, la statue de l’impérialiste du XIX siècle s’y dresse toujours.

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