Ce 11 septembre 2019, les États-Unis ont presque oublié de parler de ce qui est arrivé il y a 18 ans. Un peu comme si une page avait été tournée, noyée dans un maelström de tweets rocambolesques et de rebondissements internationaux, dressant un écran de fumée sur les deux dernières décennies.
Pourtant. Le 11 septembre 2001, les États-Unis se sont rendu compte que leur structure de défense et de renseignement était inadéquate, complètement orientée qu’elle était vers un ennemi étatique classique. Or l’organisation qui a réduit les tours jumelles en poussière ne répondait à aucun de ces critères. Les États-Unis n’avaient rien vu venir.
Dans les années qui suivent, l’architecture de sécurité du pays est redessinée, des structures militaires à celle du renseignement en passant par l’organisation des forces de l’ordre avec, dans la ligne de mire, le terrorisme international djihadiste.
L’urgence de comprendre, d’empêcher que cela se répète, justifie les montants injectés sur deux décennies. Depuis le début du millénaire, explique le Watson Institute of International and Public Affairs de l’Université Brown dans son dernier rapport annuel, la « guerre contre la terreur » a siphonné 6000 milliards $US, dont 186,6 pour le seul renseignement.
Mais vingt ans plus tard, et après de tels investissements, l’outil façonné après le 11 Septembre montre ses limites.
D’abord, sa cible première, al-Qaïda, renaît en 2019 de ses cendres : les indicateurs montrent le redéploiement de cette organisation en Syrie. Ce n’est donc pas un succès total sur ce front.
Ensuite, cet outil est focalisé sur un type de terrorisme et une région. Or, certains rapports estiment que le danger pourrait venir de la zone d’influence russe : radicalisés aux marges de l’empire, certains terroristes sont passés par le Moyen-Orient, mais ont des passeports plus passe-partout. Malgré tout, les futurs agents du renseignement américain privilégient l’apprentissage de l’arabe et les personnes susceptibles de les former sur « l’étranger proche » du géant russe sont rares.
Enfin, le risque terroriste pour les États-Unis a évolué. Considérablement. L’appareil antiterroriste ne s’est pas adapté à la dangerosité croissante du terrorisme intérieur. Malgré ses multiples facettes (des tenants de la suprématie blanche et autres milices patriotes aux militants des droits des animaux, environnementalistes ou anarchistes), un rapport de renseignement conjoint du DHS et du FBI de mai 2018 établit un constat sans appel : les groupes suprémacistes blancs ont mené plus d’attaques violentes aux États-Unis au cours des 16 dernières années que tout autre groupuscule interne. Cette analyse va dans le sens des données de l’Investigative Fund du Nation Institute, qui évalue les complots et attaques de l’extrême droite au double des incidents islamistes.
Le problème est que la machine demeure figée sur l’objectif défini après le 11 Septembre. Si le terrorisme international est un risque bien évalué, le terrorisme d’extrême droite est un risque plus important, mais insuffisamment pris en compte. Or, ce qui rend les choses complexes, dans les deux cas, ce sont les difficiles calculs de probabilité, le caractère évanescent du danger, l’absence de cible clairement identifiée. C’est le propre d’un risque. Là réside toute la complexité du contre-terrorisme.
Par contraste, il paraît évident qu’il en serait autrement si on devait parler d’une menace précise, un peu comme au lendemain du 11 Septembre. D’un danger imminent. Si cette menace était tangible. Prévisible.
On imagine qu’il en serait autrement si l’on connaissait les solutions à mettre en place. Même si cela impliquait des sacrifices. Après tout, après les attaques contre les tours jumelles, les Américains ont sacrifié leurs libertés individuelles, la protection de leurs données personnelles, ils ont accepté les fouilles, les arrestations, les listes noires, les mises sous écoute, l’armement lourd des corps policiers, ils ont accepté les guerres et y ont vu partir parents et amis, ils ont toléré les déficits galopants qui ont grevé l’économie. Tout ça pour protéger le pays. Dans une telle perspective, face à une semblable menace, il est évident que les Américains feraient tout pour mettre en place une défense concertée, centralisée, aboutie.
Or, devant l’imminence de la crise climatique, ni les discours ni les institutions ne se sont adaptés. Pourtant, l’organe de défense du pays, le Pentagone, a remis en janvier dernier un rapport sans ambiguïté : il en va de la sécurité nationale. Et après le 11 Septembre, la seule mention de « sécurité nationale » devrait déclencher des mesures exceptionnelles. Militaires. Sociales. Et tambour battant.
Mais des groupes d’intérêt, liés à l’industrie extractive, ont depuis plusieurs décennies sciemment instillé un doute quant à la réalité de la menace climatique. Ils ont largement financé des think tanks — de part et d’autre de la frontière d’ailleurs — qui avancent des idées libertariennes et néolibérales et confinent l’État, seul à pouvoir agir efficacement, à la léthargie. Les médias sociaux ont alimenté les théories d’un grand complot de la gauche. La proportion d’évangéliques conservateurs qui croient au grand dessein de Dieu dépasse les deux tiers. Et au sommet de l’État, des acteurs politiques majeurs nient ce que la science a établi depuis plusieurs décennies. Au point où le gouvernement actuel détricote rapidement toutes les normes visant à protéger l’air, l’eau, les réserves fauniques, les espèces en voie de disparition, de même que les programmes favorisant les énergies alternatives et renouvelables, ou encore les initiatives locales visant à réduire les gaz à effet de serre. Au point où, dans un silence assourdissant, il éradique des écosystèmes rares pour construire un mur pharaonique, rempart (qui a déjà maintes fois cédé face aux forces de la nature) dont on sait qu’il n’aura pas la capacité d’enrayer les migrations climatiques. Ultime symbole d’une fortification vaine, symptôme de ce barbarisme climatique qu’entrevoit Naomi Klein. Notre prochain 11 Septembre est en 2050. Mais il sera alors trop tard pour agir.
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