L’impeachment, what else?
OPINION. Les Démocrates avaient-ils encore le choix de déclencher ou non la procédure de destitution de Donald Trump? interroge notre chroniqueur Frédéric Koller
Un peu de politique-fiction. Nous sommes en 2023 et Donald Trump se prépare à un troisième mandat présidentiel. Il lui faut encore l’aval de la Cour suprême qui doit confirmer cette réforme du système électoral décidée par le Congrès: désormais il n’y aura plus de limite de mandat. Une formalité, puisque cette Cour suprême est majoritairement acquise au locataire de la Maison-Blanche depuis des années. Le Parti républicain, qui est devenu un mouvement de soutien au 45e président des Etats-Unis, s’est levé comme un seul homme pour acclamer cette réforme. En face, c’est la paralysie. Les socialistes ont beau hurler à la dictature, ils sont minoritaires. Les Verts louvoient, ce président ne s’est-il pas depuis quelque temps assagi sur la question climatique? Quant au Parti démocrate, ce champ de ruines, il est devenu tout à fait marginal.
Le peuple avait réélu Trump
Depuis sa réélection en 2020, Donald Trump remodèle son pays. Comme en 2016, cela s’est joué à quelques dizaines de milliers de voix. Cette fois-ci, Pékin a donné un petit coup de pouce en faisant fuiter le business un peu louche en Chine de la mère du candidat démocrate. Un juste retour d’ascenseur après l’accord «sans précédent historique» entre Trump et Xi pour rééquilibrer leur commerce. Pékin a tout lieu de s’en satisfaire, d’autant qu’une clause non écrite fixe leur zone d’influence: l’Asie à la Chine, les Amériques et l’Europe aux Etats-Unis. Pour l’Afrique, on verra plus tard. L’Union ayant périclité dans les soubresauts du Brexit attisés par Washington, l’Europe est désormais muette.
Les Démocrates ont bien tenté de contester cette élection après coup. Il était trop tard. Le peuple avait élu et réélu Trump. Donc il approuvait majoritairement ses méthodes. Et pour le bien de l’Amérique d’abord, il fallait qu’il puisse diriger sans limite de mandat. Après cette réélection, le Parti démocrate s’est déchiré. Pourquoi n’avait-on pas stoppé Trump avant cette nouvelle «tricherie»? Il y avait pourtant déjà eu cette affaire «russe». Le procureur spécial Mueller n’avait-il pas confirmé une intrusion de Moscou en faveur de Trump durant l’élection de 2016, les contacts entre des proches de Trump et des agents russes, et qu’à 11 reprises le président avait tenté de faire obstruction au travail de la justice? C’est trop risqué de déclencher un «impeachment», avaient alors jugé les Démocrates: ce serait électoralement contre-productif. Puis il y a eu cette affaire «ukrainienne», en 2019. Cette fois-ci, Trump a fait pression sur le président d’une puissance étrangère pour discréditer Joe Biden, puis camouflé cette tentative d’influencer l’élection. «Impeachment»! avait hurlé la gauche du Parti démocrate. Mais sa direction coupa court à cette voie: trop compliqué, les électeurs américains ne comprendraient pas, cela ferait le jeu de Trump. Et puis le Sénat, en mains républicaines, ferait de toute façon barrage. Il fallait jouer à la loyale, dans les urnes. Mais selon quelles règles? Dès lors la campagne électorale démocrate devint illisible. Trump pouvait triompher. Il triompha. Et le Parti démocrate se désintégra. Fin de l’histoire.
Deux procédures exceptionnelles
Cette semaine, la justice a stoppé Boris Johnson dans sa course folle pour réaliser son Brexit d’ici au 31 octobre, quitte à court-circuiter l’ordre institutionnel du pays. La suspension des travaux du parlement – qu’il avait décrétée – est jugée illégale. Dans les heures qui ont suivi le verdict de la Cour suprême britannique, de l’autre côté de l’Atlantique, Nancy Pelosi, leader du Parti démocrate au Congrès, annonce une procédure de destitution contre le président des Etats-Unis qui chercherait une nouvelle fois à tronquer les élections… Coup sur coup, deux des plus anciens modèles démocratiques, anglo-saxons, sont secoués par des initiatives tout à fait extraordinaires attestant de l’ampleur de la crise qui les mine.
Grâce à l’intervention de parlementaires, la Cour suprême britannique a fait son travail. Nancy Pelosi, après des mois de calculs tacticiens, a pris la seule décision qui s’imposait désormais: déclencher l’«impeachment». Ne pas agir, dans un cas comme dans l’autre, aurait signifié un recul démocratique. Peut-être fatal.
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