Le golfe Persique sur un baril de poudre
Les raids de drones contre des installations pétrolières saoudiennes le 15 septembre dernier sont venus raviver les tensions entre l’Arabie saoudite, soutenue par Donald Trump, et l’Iran. Même si le risque de guerre entre Washington, Riyad et Téhéran semble faible à court terme, la situation ne risque pas de se dénouer de si tôt tant les trois protagonistes sont prisonniers de leur propre stratégie d’intimidation.
Un baril de pétrole sur un baril de poudre. Comme souvent, le Proche-Orient ne semble plus qu’à une étincelle d’un embrasement qui serait catastrophique au vu de l’importance de cette région sur le plan tant religieux que pétrolier, puisqu’elle abrite le tiers des réserves prouvées de la matière première la plus stratégique du monde.
Le pire n’est pourtant pas le scénario le plus probable. La déflagration n’a toujours pas eu lieu malgré de nombreux incidents et provocations depuis cinq mois dans le détroit d’Ormuz. Les conséquences seraient en effet trop désastreuses pour toutes les parties prenantes, Riyad et Washington, d’une part, et Téhéran, d’autre part. L’armée saoudienne, malgré ses armes sophistiquées achetées aux Occidentaux, ne fait pas le poids face aux Iraniens, comme le montre son enlisement, assorti de crimes de guerre, au Yémen. Le régime des mollahs a peur de perdre des infrastructures clefs en cas de campagne aérienne, même limitée, des Etats-Unis. Et ces derniers ne veulent pas d’opération militaire, Donald Trump répétant que son pays est fatigué des « guerres sans fin » et de jouer le gendarme du monde.
Washington sait aussi qu’un conflit risquerait de se propager à d’autres théâtres et provoquerait certainement une flambée des cours du pétrole jusqu’à 150 voire 200 dollars, ce qui déclencherait par ricochet une récession mondiale. Les raids de drones et missiles contre des installations pétrolières saoudiennes le 15 septembre ont montré combien ce complexe est vulnérable et son système antimissiles Patriot inopérant. Un talon d’Achille pour l’économie mondiale, puisque Riyad fournit un dixième du pétrole consommé sur la planète.
Trois acteurs dans l’impasse
Il n’en demeure pas moins que la crise actuelle paraît inextricable et les trois principaux protagonistes, Riyad, Washington et Téhéran, pris dans un « haka » (*) sans issue. Chacun est prisonnier d’une stratégie perdante qu’il ne peut abandonner sans humiliation.
Mohammed ben Salmane, dit MBS, le prince héritier saoudien et en fait numéro un du régime, mise tout sur sa capacité à mater le rival perse et chiite. Avec un bilan catastrophique pour l’instant, puisque l’Iran est plus actif que jamais en Syrie, au Liban, en Irak ou encore au Yémen, où ses protégés Houthis tiennent tête à la coalition menée par Riyad, et marquée par les dissensions, d’une dizaine de pays arabes. Dans le théâtre d’ombres du régime saoudien, MBS est d’ailleurs sur la sellette en raison aussi du fiasco de sa stratégie de diversification économique et d’ouverture aux capitaux étrangers, malgré une modernisation sociétale en trompe-l’oeil .
La stratégie de « pression maximale » de Donald Trump sur l’Iran, afin de le ramener à la table des négociations sur son programme nucléaire et l’obliger à réduire ses ingérences régionales, ne fonctionne pas mieux. Quoique affectée par les pénuries, l’inflation et les grèves diverses , l’économie iranienne ne s’est pas effondrée. Et le ralliement autour du drapeau à Téhéran muselle quiconque voudrait négocier avec Washington. Surtout, Trump a commis l’erreur d’acculer l’Iran : ou il capitule ou il se laisse étrangler financièrement. Les exportations d’or noir de l’Iran, source de la grande majorité de ses recettes en devises, ont été divisées par quatre en quinze mois. Téhéran n’a donc d’autre choix que de tenter de desserrer l’étau, sur le thème « si je ne peux pas exporter mon pétrole, personne ne pourra », via des attaques ou capture de pétroliers dans le détroit d’Ormuz. Pousser son adversaire à une réaction agressive sans être prêt à riposter et donc passer pour faible : la tactique de Trump ne brille pas par ses résultats…
Jusqu’où aller trop loin
Pour autant, l’Iran n’est pas dans une meilleure situation. Il n’a pas d’alternative à sa stratégie de la tension visant à obtenir, ce qui est improbable, que Trump annule ses sanctions et revienne sur sa décision de sortir de l’accord international sur le nucléaire (JCPOA) de 2015. La chancelière allemande, Angela Merkel, a jugé mardi « irréalistes » ces exigences iraniennes comme préalable à tout dialogue avec Washington. Et Emmanuel Macron n’a pas obtenu la rencontre entre Donald Trump et son homologue iranien, Hassan Rohani, dont il rêvait en marge de l’AG de l’ONU à New York . Surtout, Téhéran peut aller trop loin un jour ou l’autre. Paris, Berlin et Londres, pourtant enclins à une certaine indulgence afin de sauver le JCPOA, ont estimé mardi que le régime iranien était responsable des raids du 15 septembre. Et force est de reconnaître que Téhéran attise la moindre étincelle dans rien de moins que quatre théâtres de conflits au Proche-Orient, « performance » géopolitique unique au monde actuellement.
Les Occidentaux ne peuvent indéfiniment laisser commettre des actes illégaux, voire de guerre, dans le détroit d’Ormuz , par où transite le cinquième du pétrole mondial, sans réagir, car cela encouragerait Téhéran à remettre de l’huile sur le feu. Des raids sur des actifs des Gardiens de la révolution, de préférence hors du territoire iranien, n’auraient rien de surprenant ni d’illogique. Reste à savoir si, après s’être fait peur, les différents protagonistes s’assiéraient alors à la table de négociation, pour « sauter ensemble dans la piscine », comme l’a dit Boris Johnson mercredi. Ou si un point de non-retour serait atteint. Les manuels d’histoire comptent bien des guerres déclenchées par erreur et dont en fait personne ne voulait.
(*) Danse d’intimidation des insulaires du Pacifique Sud popularisée par les rugbymans néo-zélandais.
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