On peut analyser la mort d’Abou Bakr al-Baghdadi de deux angles différents : celui de la guerre contre le terrorisme et celui de l’avenir politique de Donald Trump. Dans un cas comme dans l’autre, la disparition du chef du groupe État islamique représente, indéniablement, un succès.
On ne peut que se réjouir de la mort de ce terroriste. La sauvagerie de son organisation, démontrée par de nombreux attentats cruels et sanglants, est toujours allée de pair avec l’efficacité de sa propagande.
Mais non seulement les rêves d’un « califat » ont-ils récemment été réduits en miettes, celui qu’on considérait jadis à la fois comme le cerveau et l’âme du groupe vient d’être éliminé.
Le mot succès n’est donc pas trop fort.
On se gardera toutefois de l’exagérer. Parce qu’une fois la tête de l’organisation coupée, il en repoussera une autre. On l’a vu après la mort d’Oussama ben Laden. Son bras droit lui a succédé comme chef d’Al-Qaïda. Jamais le groupe n’a été en mesure de fomenter un attentat aussi diabolique que celui du 11-Septembre, mais il demeure actif.
Par ailleurs, les experts le répètent sans cesse : les djihadistes passent, mais l’idéologie reste. L’islam radical n’est pas mort en même temps qu’Abou Bakr al-Baghdadi… Il y aurait d’ailleurs plus de 14 000 combattants qui se réclament encore de cette organisation terroriste.
Précisons aussi qu’il s’agit d’un juste retour des choses.
Les États-Unis ont coupé la tête du monstre qu’ils ont enfanté.
Le groupe État islamique est né dans la foulée de l’invasion de l’Irak par les militaires américains en 2003.
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Mais ne comptez pas sur le président américain pour s’embrouiller dans ces subtilités. Il l’affirme déjà et le répétera jusqu’au prochain scrutin présidentiel : la mort du leader du groupe État islamique, c’est « quelque chose d’énorme ».
Un triomphe signé Trump, que celui-ci relate déjà, par moments, comme s’il racontait une histoire de pêche. Avec un mélange savamment dosé de vérité, d’exagérations et de « faits alternatifs ».
La façon dont il a soutenu, par exemple, que ce succès est nettement plus important que l’élimination d’Oussama ben Laden. Ou les détails offerts sur le raid, mettant en scène un terroriste qui se comporte comme une mauviette et qui meurt « comme un chien », en « gémissant, pleurant et criant ».
Il fallait voir hier les responsables du Pentagone se perdre en conjectures lorsqu’on leur a demandé où le président avait obtenu des détails si précis, alors qu’il n’a vu que les images de l’opération fournies par les drones (sans son ambiant).
Et que dire du paradoxe ultime : les services de renseignement kurdes, qui auraient contribué à la traque d’Abou Bakr al-Baghdadi, étaient les précieux alliés des Américains… avant d’être lâchés par Donald Trump lorsqu’il a donné le feu vert au retrait des quelque 1000 soldats américains qui se trouvaient dans le nord de la Syrie.
Ajoutons à cela que cette décision a entraîné la fuite de prisonniers du groupe État islamique, détenus par les forces kurdes. En somme, la Maison-Blanche célèbre la mort du chef, mais commet une erreur stratégique qui pourrait dynamiser son organisation. On peut craindre, par ailleurs, que certains djihadistes veuillent le venger.
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Tout ça peut nous sembler indécent, illogique et contre-productif. Et c’est le cas, ne le nions pas. Mais ce que plusieurs électeurs retiendront au final de cet épisode — en particulier les républicains —, c’est son résultat net. L’ennemi public numéro un des États-Unis est mort.
Souvenons-nous de la campagne électorale de 2012, lorsque Barack Obama tentait d’être réélu. On disait qu’il avait « sauvé GM et tué ben Laden ». C’était à la fois indéniable et, comme slogan informel, diablement efficace.
Si rien ne change, Donald Trump pourrait donc être en mesure de réclamer un second mandat en prétextant qu’il a stimulé l’économie américaine comme jamais auparavant et qu’il a éliminé Abou Bakr al-Baghdadi.
En somme, qu’il a rendu à l’Amérique sa grandeur. Tel que promis.
Ça ne fait pas de lui un bon président. C’est, au mieux, un raisonnement simpliste qui servira à cacher un bilan plus négatif que positif. C’est l’arbre qui cache la forêt, en quelque sorte.
N’empêche…
Son éventuel rival démocrate devra se lever de bonne heure.
Si la tendance se maintient, vaincre le président Trump l’an prochain sera tout sauf un jeu d’enfant.
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