De nombreux chercheurs affirment que la puissance hégémonique américaine est en déclin, certains disent le contraire. Et les pays alliés, qu’en pensent-ils?
Ce contenu est produit par l’Université Laval.
La plupart des spécialistes des États-Unis d’Amérique semblent d’accord sur un point: cette superpuissance hégémonique serait en train de connaître un déclin relatif. Diverses, les causes de ce phénomène sont d’abord financières. Ainsi, les États-Unis ont beaucoup dépensé dans leur participation aux guerres d’Irak et d’Afghanistan, dans la lutte contre le terrorisme islamique et pour leur présence militaire permanente en Europe et en Asie dans le cadre d’alliances. Sur le plan domestique, les Américains ont fait face à une terrible crise économique et ils continuent à accumuler d’importants déficits budgétaires, lesquels viennent creuser une dette publique qualifiée d’exponentielle.
Un ouvrage collectif est paru récemment sur le sujet aux éditions Routledge sous le titre America’s Allies and the Decline of US Hegemony. Comme le titre l’indique, le livre met l’accent sur les perceptions des principales puissances alliées des États-Unis face à un monde en transition. La supervision de ce livre a été assurée conjointement par le professeur Jonathan Paquin, du Département de science politique de l’Université Laval, et par son confrère Justin Massie, de l’Université du Québec à Montréal. Les deux experts cosignent l’introduction et la conclusion de l’ouvrage.
«On sait très peu de choses sur la perception que les grandes capitales démocratiques alliées ont du déclin relatif de la puissance américaine, explique le professeur Paquin. On ne connaît pas non plus leurs stratégies de politique étrangère et de défense consécutives à ce déclin. Ces pays comprennent les grands pays européens, le Canada et le Japon, qui ont contribué, avec les États-Unis, à la mise sur pied de l’ordre libéral international depuis 1945.»
Une superpuissance résiliente
Jonathan Paquin rappelle que les États-Unis ont surpris dans le passé lorsque leur leadership paraissait affaibli et fait preuve de beaucoup de résilience.
Selon lui, la question aujourd’hui n’est pas de savoir s’il y a un déclin relatif de leur puissance puisque c’est un fait. «Le déclin relatif observé, dit-il, n’est pas uniquement lié au président Trump, qui est un facteur conjoncturel. Il découle aussi des transformations des rapports de force qui sont inhérentes aux relations internationales, comme la montée des économies émergentes du BRICS, ainsi que l’ascension fulgurante de la Chine. La question est plutôt d’anticiper la vitesse du déclin et ses conséquences. Les États-Unis demeureront-ils la puissance hégémonique combinant la puissance matérielle, militaire et idéelle? Les alliés démocratiques de ce pays pourront-ils, et voudront-ils, accroître leur leadership alors que les États-Unis se retirent progressivement des affaires du monde?»
Douze chercheurs de différents pays signent les chapitres du livre. L’une d’elles est la professeure Caterina Carta, une collègue de Jonathan Paquin. Son texte porte sur le discours européen relatif à la transition du pouvoir international. Selon elle, les États-Unis sont vus, dans les capitales européennes, comme perdant peu à peu leur position hégémonique. Cela dit, les discours stratégiques européens continuent de se fonder sur l’alliance euroatlantique, l’OTAN. La chercheuse fait remarquer que l’Union européenne est fondamentalement une créature créée par le statu quo qui a suivi la Seconde Guerre mondiale. Dans cette optique, l’affaiblissement de l’ordre libéral international, consécutif au déclin relatif des États-Unis, entraînera l’affaiblissement de l’Union européenne. «La Chine, poursuit-elle, est unanimement considérée en tant que seul compétiteur direct des États-Unis, alors que la Russie est perçue comme une menace à la sécurité continentale. Les États membres de l’Union européenne ont des opinions divergentes quant à la façon de traiter avec la Russie et la Chine.»
Sur l’OTAN, le professeur Paquin explique que plusieurs pays européens craignent d’être abandonnés par les États-Unis et qu’il existe un débat entre atlantistes. «Il y a ceux qui croient en l’OTAN et ceux qui souhaitent le développement d’une Europe de la défense», souligne-t-il.
Une question cyclique
Le déclin de la puissance américaine constitue une question cyclique dans l’histoire des États-Unis. En 1957, la mise en orbite du satellite Spoutnik par les Soviétiques a été perçue par de nombreux Américains comme une perte de leadership pour leur pays. Au début des années 1970, les mêmes questionnements ont entouré la très forte croissance économique du Japon.
«C’est normal d’avoir cette discussion, soutient Jonathan Paquin. Personne ne reste au sommet pour toujours. À partir du moment où on ne peut plus monter, la seule direction est vers le bas. Je parierais sur le déclin de la superpuissance américaine. Cette fois, il y a un consensus sur un déclin relatif.»
Face aux «déclinistes», les tenants de la primauté américaine opposent pourtant de solides arguments. En 2018, le produit intérieur brut par habitant aux États-Unis s’élevait à 55 000$ comparativement à 8000$ en Chine. Cette année, le budget militaire américain est de 650 milliards de dollars, comparativement à 200 milliards pour la Chine. Un grand nombre d’universités américaines figurent parmi les meilleures au monde. Et les prix Nobel? Les chercheurs américains en ont reçu une forte proportion au fil des années. Un autre argument est le pouvoir d’attraction du pays de l’oncle Sam sur les immigrants du monde entier. Enfin, près de la moitié des plus grandes entreprises au monde appartiennent à des intérêts américains.
«Ce pays est une puissance idéelle, affirme le professeur. Son modèle politique, ses valeurs de démocratie et de liberté d’expression, ce discours que l’on répète plaît à un très grand nombre d’États, pas seulement aux pays alliés. C’est un modèle attrayant et attractif. La Chine, elle, n’a pas de discours qui fait l’envie du monde, un narratif qui propose une alternative au modèle occidentalo-américain. Personne ne veut tout sacrifier pour aller vivre en Chine, alors que d’autres sont prêts à tout pour vivre le rêve américain. Depuis 75 ans, les Américains sont à la tête d’un système d’alliances très bien organisé. La Chine, elle, a horreur des alliances. Elle n’a pas de projet avec des nations alliées. En matière de culture, la Chine comme la Russie ne fait pas le poids. Si les puissances alliées des États-Unis sont capables de se coordonner pour préserver l’ordre libéral international, l’hégémonie américaine pourrait se poursuivre.»
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