‘The Irishman’ on Netflix, Symbol Of a World Cinema In Danger

<--

« The Irishman » sur Netflix, symbole d’un cinéma mondial en péril

Editorial. Alors que le dernier film de Scorsese sera invisble en salle en France, la loi sur l’audiovisuel doit adapter notre système au phénomène inéluctable de l’irruption des plates-formes de streaming.

Mercredi 27 novembre, le meilleur film de l’année n’est pas sorti en salle. Enorme production – le budget est estimé à 150 millions de dollars –, emmené par des stars de renommée planétaire (Robert De Niro, Al Pacino), et réalisé par l’un des plus grands cinéastes américains vivants, Martin Scorsese, The Irishman restera invisible sur les écrans des cinémas français et ne fera que passer dans les salles américaines. Pour le voir, il faut être abonné à la plate-forme Netflix et le regarder sur son propre écran.

Cette aberration est le symptôme de la crise que traverse le cinéma mondial, la pire qu’il ait connue depuis l’irruption, il y a un demi-siècle, de la télévision dans les foyers. Il est tentant d’attribuer le rôle du méchant, qui fut jadis celui du petit écran, aux plates-formes de streaming.

Dans une tribune publiée par le New York Times le 4 novembre, Martin Scorsese a désigné un autre coupable : les grands studios hollywoodiens, pris dans la course à la concentration, dont l’objectif est « l’élimination progressive et constante du risque » dans la production de films à gros budget. Le résultat, explique l’auteur de Taxi Driver, est que « coexistent deux champs séparés : d’un côté, le divertissement audiovisuel planétaire, de l’autre, le cinéma ». Les énormes productions de studios qui reposent sur des marques commerciales (Marvel, DC, Hasbro ou Harry Potter) et les films sélectionnés dans les grands festivals, Cannes, Venise ou Toronto.

Cette brèche a commencé à se creuser bien avant l’arrivée de Netflix et de ses concurrents. Les plates-formes se sont engouffrées dans le vide laissé par les studios, proposant leurs ressources aux

producteurs de films indépendants, exigeant en échange qu’ils renoncent à l’exploitation de leurs films en salle.

Dimension sociale

Aux Etats-Unis comme dans nombre de pays européens, la cause paraît entendue : les grands circuits commerciaux se consacrent tout entiers à la distribution d’Avengers ou Toy Story, pendant que subsistent dans les grandes villes des salles vouées au cinéma d’auteur. Si elles sont hors de portée, il faudra se contenter du streaming.

La dimension sociale, collective, du cinéma, qui en a fait un art majeur pendant plus d’un siècle, s’étiole. Paradoxalement, on n’a jamais encaissé autant d’entrées dans les cinémas de la planète. Mais, sur les marchés émergents, le fossé entre produits industriels et artistiques est aussi profond.

A ce péril mortel, on devrait être en mesure d’opposer la thérapie française. L’organisation de la répartition des ressources du cinéma sous l’égide de la collectivité nationale, les mécanismes qui permettent l’émergence de nouveaux talents ou le maintien d’un maillage de salles sans équivalent dans le monde, ont permis à la France non seulement de maintenir la fréquentation, mais que celle-ci ne soit pas tout entière tournée vers les grands produits américains. Or, ce système inventé à la Libération, puissamment renforcé dans les années 1980, ne parvient pas à prendre en compte les mutations du monde qui l’entoure, à commencer par l’irruption des plates-formes.

Les initiatives de l’exécutif comme les dispositions sur le cinéma incluses dans la loi sur l’audiovisuel doivent remédier à cette inadaptation. Pour que le remède ne soit pas pire que le mal, il faudra donner la priorité à l’un des deux éléments de ce qui fait l’essence du cinéma, selon la formule d’André Malraux : l’art. A moins de choisir l’industrie, et de faire du cauchemar de Scorsese une réalité.

About this publication