American Stories

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Histoires américaines

Lors de son passage à l’émission Tout le monde en parle le 24 novembre dernier, le romancier américain Bret Easton Ellis s’étonnait qu’on lui pose des questions sur Donald Trump. « Pourquoi vous intéressez-vous à cet homme ? » semblait sous-entendre l’écrivain controversé. Critique de l’hystérie engendrée par l’élection de Trump, Bret Easton Ellis n’est pas un partisan de l’olibrius, mais il déplore le vent de panique entretenu par les adversaires de ce dernier. Il s’étonne donc encore plus de retrouver cet affolement à l’extérieur des États-Unis. Il y a, selon lui, mieux à faire que de s’occuper de ce gars.

Dans une perspective québécoise, je lui donne en partie raison. On peut considérer, en effet, que la fascination qu’exerce la figure de Trump sur nous s’explique par une attitude de colonisés. On suit la politique américaine parce qu’on la trouve plus spectaculaire et plus intéressante que la nôtre, comme on écoute plus de films américains que de films québécois pour les mêmes raisons.

Trump, évidemment, par sa personnalité, exacerbe le phénomène. Bien des Québécois en savent plus sur lui et sur ses frasques que sur Trudeau et Legault. La politique-spectacle atteint des sommets d’insignifiance quand les citoyens d’un pays choisissent de suivre le spectacle d’un pays étranger sur lequel ils n’ont aucune prise.

Il y a toutefois une contrepartie à cette argumentation. On ne peut pas, en effet, vivre à côté d’un éléphant sans se préoccuper de ses mouvements. Que cela nous plaise ou non, l’influence américaine sur le monde, sur le Canada et sur le Québec est forte. Aussi, connaître la nature de la bête peut être considéré comme un devoir de citoyen. L’économie québécoise, par exemple, n’est pas à l’abri des décisions intempestives du président américain, et on sait, de plus, que les tendances populaires au sud de notre frontière, en tous domaines, ne tardent jamais à pointer leur nez ici. Dans ces conditions, il n’est pas mauvais de savoir à quoi s’en tenir.

Des affaires et du cinéma

L’émission radiophonique Aujourd’hui l’histoire, diffusée sur ICI Première et animée par l’excellent Jacques Beauchamp, fait souvent œuvre utile en ce sens. Modèle de vulgarisation historique vivante, cette émission, agréable et instructive, traite de sujets québécois et étrangers. Les Éditions du Septentrion ont eu la bonne idée de lui consacrer une nouvelle collection dont les deux premiers titres portent justement sur des thèmes états-uniens.

Dans Les grandes affaires politiques américaines, la politologue Karine Prémont présente avec clarté et vigueur huit événements qui ont marqué l’histoire récente du pays. Son style allie la précision factuelle à la fluidité narrative. Lire ses textes est aussi agréable et captivant que regarder une télésérie historique, avec, en prime, le sceau de la rigueur.

En une vingtaine de pages, chaque fois, Prémont transforme en récits très éclairants des dossiers complexes, comme les Pentagon Papers, le Watergate, le scandale Iran-Contra ainsi que les affaires Anita Hill et Monica Lewinsky. Dans ses textes sur les assassinats des frères John F. et Robert F. Kennedy, elle fait ressortir le caractère légendaire de la politique américaine. Bien des gens, note-t-elle, affirment avoir vu l’assassinat du président Kennedy, en 1963, en direct à la télévision. Or, les images n’ont été télédiffusées que douze ans plus tard ! En 1964, ajoute-t-elle, 64 % des Américains disaient avoir voté pour Kennedy, « alors qu’il avait été élu par une très faible marge en 1960 ». La mémoire, on le constate une fois de plus, n’est pas l’histoire.

Dans Le cinéma américain, la critique Helen Faradji se penche sur certains films cultes — Citizen Kane, Le Parrain, La guerre des étoiles, Indiana Jones — et sur certaines grandes figures — Fred Astaire, Marilyn Monroe, les frères Coen et Tarantino. Bien que je n’aime presque aucun des films dont elle parle, à part Fargo, peut-être, et encore, j’ai néanmoins dévoré ce petit livre.

Docteure en cinéma, Faradji maîtrise son sujet — ses considérations techniques sur les films sont passionnantes —, a le sens de l’image — « le style de Fred Astaire, c’est un peu comme celui de Roger Federer au tennis : une impression d’élégance et de facilité », écrit-elle — et du récit explicatif. Même quand elle défend le cinéma de Tarantino, que je trouve vulgaire et insignifiant, Faradji parvient à m’intéresser, ce qui est un exploit. Je continue de croire, comme l’ex-critique Paul Toutant, que ce cinéaste « n’a pas grand-chose à dire, à part pow pow boum boum », mais ce qu’en dit Faradji me fait réfléchir.

On peut penser, comme moi, qu’il y a trop de films américains au Québec — une part de marché d’environ 80 %, bon an, mal an — et qu’il y a trop de Trump. Ce n’est pas une raison pour ne pas s’y intéresser intelligemment.

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