A Strategic But Catastrophic American Retreat

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Un repli stratégique américain catastrophique

Depuis près de trois ans, l’administration Trump a pris une série de décisions majeures visant à un désengagement des États-Unis dans le monde. Les plus importantes de ces décisions vont de l’abrogation de l’accord de Paris sur le réchauffement climatique, à la dénonciation de l’accord de partenariat transpacifique, à l’annulation de l’accord nucléaire iranien et au retrait des troupes américaines en Syrie.

Toutefois, une décision se démarque de toutes les autres par son caractère cataclysmique quant à la sécurité nationale américaine. Cette décision inconsidérée qui a pris effet le 2 août, après un préavis de six mois, porte sur l’abandon de l’accord sur les forces nucléaires intermédiaires avec la Russie. Cette décision pourrait s’avérer catastrophique à long terme. Clairement, le grand gagnant dans cette décision est la Russie qui obtient une licence tacite pour déclencher une nouvelle course aux armements nucléaires. Pour le reste du monde, la conséquence évidente est la montée de l’insécurité internationale.

L’accord sur les forces nucléaires intermédiaires (INF) fut négocié en 1986 sous la présidence de Ronald Reagan avec Mikhail Gorbatchev. Les deux dirigeants avaient compris que le monde deviendrait plus sécuritaire avec un contrôle des armes nucléaires à courte portée. Avec le temps, le traité de 1987 fut considéré comme l’accord nucléaire le plus important de l’histoire.

Durant la guerre froide, en dépit des accords nucléaires Salt-1 et Salt-II signé en 1972 et 1979 visant à limiter le nombre de missiles balistiques intercontinentaux (ICBM), le contrôle des armes nucléaires était dans une impasse. La paix reposait sur la doctrine que les deux pays pouvaient se détruire mutuellement. Cette dynamique dissuadait les deux puissances de lancer une première frappe.

Entre-temps, la situation devenait de plus en plus périlleuse, alors que les États-Unis et la Russie multipliaient le déploiement de missiles nucléaires à portée intermédiaire en Europe et en Asie. Dans le cadre du traité de 1987, les deux pays s’engageaient à éliminer tous les missiles balistiques d’une portée de 500 à 5500 kilomètres lancés du sol. De plus, des 16 000 ogives que chacune des deux puissances possédait, ces dernières acceptaient d’en réduire le nombre total pouvant être déployées à 6000. Ce traité a permis ensuite des réductions supplémentaires pour atteindre seulement 1550 ogives en 2019.

Or, chaque puissance s’accuse mutuellement de ne pas respecter le traité depuis trois ans. Derrière ces accusations se dissimule le développement de nouvelles armes beaucoup plus redoutables : nouvelle génération de missiles balistiques intercontinentaux à énergie nucléaire, missiles de croisière hypersoniques à propulsion nucléaire, drones sous-marins et autres dispositifs comme des armes hypersoniques « capables de voyager neuf fois plus vite que le son et en grande partie imperméables à tout système de défense antimissile existant ».

L’abrogation du traité sur l’INF, en dépit de ses limites, représente selon Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’OTAN, « un mauvais jour pour tous ceux qui croient au contrôle des armements et à la stabilité en Europe ». En effet, l’absence de ce traité permet aux Russes de déployer leurs nouveaux missiles nucléaires mobiles qui sont difficiles à détecter et qui peuvent atteindre les villes européennes en quelques minutes.

Ces propos sont corroborés par Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, qui affirmait en août dernier qu’avec l’abrogation du traité sur l’INF « le monde perdra un frein précieux sur la guerre nucléaire. Cela va probablement augmenter, et non réduire, la menace posée par les missiles balistiques ».

Comme ce traité imposait des contraintes dans l’utilisation des armes nucléaires, son annulation rend le monde d’aucune façon plus sécuritaire. Au contraire, celle-ci a ouvert la voie à une nouvelle course aux armements nucléaires sans se soucier des conséquences pour tout un chacun.

Les plus proches alliés des États-Unis ont donc raison de se questionner sur la signification de la parole américaine. Devant le comportement imprévisible et irrationnel des États-Unis, plusieurs alliés s’interrogent sur la promesse américaine de leur fournir un parapluie de protection nucléaire. Troubler par la direction prise par Washington, « les dirigeants européens s’orientent vers la création d’une force de défense européenne ».

Wesley Clark, un ancien commandant de l’OTAN, affirme pour sa part qu’avec l’abrogation de ce traité, « nous entrons dans une nouvelle compétition, une compétition militaire, y compris une compétition avec des armes nucléaires contre le développement que la Russie et, dans une certaine mesure, la Chine sont en train de créer ».

La dernière chose dont le monde a besoin est une nouvelle course aux armements avec la Russie. Cela a pris des décennies pour signer le traité sur l’INF. L’abandon précipité et inconsidéré de ce traité laisse un grand vide. Washington cherche entre-temps à étouffer toute perception que ce sont les États-Unis qui sont responsables du déclenchement d’une nouvelle course aux armements. Mais cette affirmation est reçue avec scepticisme au sein de la communauté internationale.

Comme si cela n’était pas assez, l’administration Trump a annoncé en octobre son intention de larguer un autre héritage crucial de la guerre froide. Le traité sur les cieux ouverts, conclu en 1955 et ratifié par 34 pays, permet « aux États membres de surveiller de manière non armée leurs territoires respectifs et vérifier les accords de maîtrise des armements ». Le président Poutine ne demande pas mieux que les États-Unis abrogent ce traité. Décidément depuis trois ans, le monde est devenu beaucoup plus incertain et dangereux.

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