Entre devoir éthique et intérêts électoraux
Vote historique et indélébile, forcément, mais à l’issue attendue, vu la majorité dont disposaient les démocrates à la Chambre des représentants. Dès mercredi matin, les élus républicains ont pris le relais de la lettre enragée écrite la veille par Donald Trump à la leader démocrate Nancy Pelosi en multipliant les cris d’orfraie et les mesures dilatoires. Cela n’aura pas empêché que, vers 20 h 30, ce roi fou devienne le troisième président américain en 240 ans d’indépendance à se voir montrer la porte par impeachment.
À présidence extrême, procédure extrême. En 1998, Bill Clinton avait été mis en accusation pour parjure par les républicains dans une histoire sexuelle — le Monicagate — aux répercussions politiques autrement plus périphériques. Les démocrates ont fait ce qu’il fallait en ouvrant une enquête sur le chantage à l’aide militaire pratiqué par M. Trump auprès du président ukrainien Volodymyr Zelensky aux fins de salir la réputation de Joe Biden, rival démocrate potentiel, sinon probable, à la présidentielle de 2020. Voici un président des États-Unis qui, depuis son élection en 2016, gouverne en fonction de ses intérêts personnels, au mépris de l’État de droit. L’enquête Mueller sur l’ingérence russe a relevé contre lui d’amples soupçons d’entrave à la justice. L’affaire ukrainienne est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Suivant le principe en démocratie des « freins et contrepoids », la majorité démocrate a pris ses responsabilités — mais aux risques et périls électoraux de bien des élus — en votant la mise en accusation de M. Trump pour abus de pouvoir (230 voix contre 197) et entrave à la bonne marche du Congrès (229 voix contre 198).
Va pour les principes. Qui sont fondamentaux. Reste que la démarche relève en bonne partie d’un spectacle politique ultrapartisan dont on est déjà pratiquement assuré qu’une fois transporté en janvier au Sénat à majorité républicaine, il donnera lieu à un « procès » qui acquittera Donald Trump.
À terme, la démarche, si pertinente soit-elle, ne règle pas pour les démocrates la question de savoir comment chasser M. Trump du pouvoir en novembre prochain. Mme Pelosi ne le sait que trop bien. Le fait est que les Américains, manifestations à l’appui, sont divisés par le milieu dans leurs opinions sur la procédure en destitution et que les démocrates apportent en vérité de l’eau au moulin du président dans ses attaques contre « l’État profond » et l’establishment honni.
En soirée, pendant qu’on votait au Capitole, M. le président allait rencontrer son électorat sous hypnose dans le cadre d’un grand rassemblement partisan à Battle Creek, dans l’État clé du Michigan. Il n’allait sûrement pas se priver d’enfoncer le clou contre la « gauche radicale » qui veut le décapiter. De répéter qu’il s’agit d’une « chasse aux sorcières ». Et de revenir de long en large sur les agissements dits brumeux des Biden en Ukraine, à l’époque où Hunter, fils de l’ancien vice-président sous Obama, s’était joint, pour 50 000 $ par mois, au conseil d’administration d’une compagnie gazière ukrainienne sujette à de multiples enquêtes de corruption…
Alors, ceci : anguille sous roche ou non, et si abominable que soit lui-même M. Trump, l’impasse que les démocrates font sur les Biden les dessert assurément auprès de l’opinion. Pour reprendre les propos récents du chroniqueur américain Bhaskar Sunkara dans The Guardian : « Hunter Biden utilisant les relations de son père pour faire son chemin parmi les riches, c’est exactement ce qui va mal avec le système » qui répugne aujourd’hui à tant d’Américains. Très juste.
M. Trump, sa présidence ubuesque et tous ces élus républicains qui le soutiennent aveuglément sont l’expression aboutie d’une démocratie américaine en mauvaise santé. Le Parti démocrate a d’importantes responsabilités dans cette détérioration ; obliquement, le procès qui est fait au président est donc aussi le sien. Comment réparer cette démocratie ? Vaste chantier. Par-delà les guerres de tranchées partisanes, les démocrates ont sérieusement besoin de se rénover s’ils veulent regagner la confiance des électeurs-blancs-sans-diplôme-universitaire (42 % de l’électorat) qui ont largement voté Trump en 2016. S’attaquer — vraiment — aux inégalités sociales et à la pauvreté qui se creusent, en santé et en emploi. Déconstruire la parole raciste et xénophobe. Bref, soigner à la racine les vieux maux qui ont créé le trumpisme.
Leave a Reply
You must be logged in to post a comment.