The Decade of #MeToo

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La décennie du #MoiAussi

Vendredi sortait sur nos écrans Bombshell(Scandale) de Jay Roach. Donnant la vedette à Charlize Theron, Nicole Kidman, Margot Robbie et John Lithgow, cette production hollywoodienne est un fruit du mouvement #MoiAussi qui a enflammé l’Amérique et le monde entier à la suite des accusations de viols et de harcèlement sexuel visant l’omnipotent producteur Harvey Weinstein en 2017.

Les événements du film (véridiques) se déroulent en amont de cette affaire, en 2016, mais il est évident que la vague de protestations féminines contre les abus de tous poils a permis à Bombshell — qui ne passera pas aux annales pour sa réalisation, mais pour son propos — de voir le jour. On y suit le combat de plusieurs femmes contre le puissant patron de Fox News, Roger Ailes, l’accusant de faveurs sexuelles réclamées en échange d’une place à l’antenne. Ce dernier avait dû démissionner dans la foulée du scandale, avec une coquette indemnité de départ de 40 millions.

Pour la petite histoire, précisons que ce gros bonnet républicain des communications avait par ailleurs travaillé comme conseiller pour les campagnes de Ronald Reagan, de George W. Bush et de Donald Trump. Aisle, mort depuis, n’aura jamais perdu ses privilèges et ses hautes relations, même après sa disgrâce.

Malgré tout, oui, le monde a changé. Et Harvey Weinstein a eu beau grogner cette semaine en se portraiturant en pionnier de la promotion des femmes au cinéma et en pleurant son héritage artistique terni, les nombreuses plaintes reçues pour ses pulsions prédatrices laisseront de lui une tout autre image. Vous me direz qu’il s’en tire à bon compte, réglant les poursuites au civil à l’amiable contre compensations financières. Reste toutefois son procès pénal à New York en janvier. Quelle qu’en soit l’issue, l’ancien magnat de Miramax, qui s’était en son temps vraiment démené pour hisser au sommet des Oscar un certain cinéma indépendant, est un homme désormais déchu. Entre le cas Aisle et le cas Weinstein, la terre aura tremblé.

Le cinéma aux premières loges

En auscultant la décennie qui s’achève, aux côtés de la révolte des peuples contre leurs élites, du combat des environnementalistes, de l’élection de Trump en contrepoids aux velléités de changements planétaires, on entend des voix des femmes. Ce n’est pas un hasard si la jeune Greta Thunberg en constitue la figure de proue. N’en déplaise au locataire phallocrate (entre autres) de la Maison-Blanche, qui ne sera pas destitué même s’il mériterait de tout cœur cette disgrâce.

Les mouvements civiques, les vagues de migrations, les besoins environnementaux criants qui menacent les structures économiques des puissants ont entraîné des crispations et une montée de l’extrême droite. On verra bientôt déteindre la dernière décennie sur la prochaine avec force batailles pour le partage et la survie du territoire collectif. De périlleuses tentations de balancer tout le passé patrimonial par-dessus bord se dessinent en marge des sursauts libertaires. La remise en cause des vieux modèles, dont le patriarcat, devrait se poursuivre en s’accordant beaucoup au féminin.

Le monde du cinéma, à la tête du #MoiAussi, entre l’espoir d’une révolution des esprits et le brouhaha des controverses, l’a compris. Jamais les réalisatrices n’auront eu autant l’occasion de s’exprimer qu’aujourd’hui. Au Québec, Il pleuvait des oiseaux de Louise Archambault et Antigone de Sophie Deraspe ont marqué 2019. Il est vrai qu’aucune femme cinéaste ne se retrouve en nomination aux Golden Globes américains dans les catégories phares. Vrai aussi que Cannes a manqué au printemps l’occasion de donner la deuxième Palme d’or féminine de son histoire en ne couronnant pas Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma. L’avenir est encore jeune. Tout se précipite de nos jours ; pourtant, rien n’est plus lent à mouvoir que les mentalités.

N’empêche que l’affaire Polanski soulève la France, pays traditionnellement machiste soudain à l’écoute de celles que le cinéaste aurait violées des décennies plus tôt. Mais la cause de la plaignante française est prescrite et la partie se joue dans l’émoi d’immenses frustrations féminines. Celles-ci s’étaient cristallisées chez nous autour des poursuites contre le producteur Gilbert Rozon.

Quel sort réserver aux créations d’êtres en abus de pouvoir ? Personne ne s’entend là-dessus. À mon avis, l’appel à la censure menace d’effacer une grande partie de notre histoire de l’art, tant le patriarcat possède des assises millénaires. Mieux vaudrait mettre ces œuvres en perspective, sous peine de proscrire celles de figures majeures comme Gauguin, Rodin, Verlaine, Picasso, Woody Allen et compagnie. La liste serait longue. On ne refera pas l’histoire, mais il nous appartient d’en modifier le cours.

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