Au bord du précipice
L’assassinat du général iranien Qassem Soleimani par les États-Unis relève d’un calcul politique difficile à comprendre. Dans sa volonté d’exercer une « pression maximale » sur l’Iran et de contenir ses ambitions militaires au Moyen-Orient, le gouvernement Trump a tenté un geste risqué, susceptible de mener à une guerre ouverte entre les deux pays.
Nul doute que le général Soleimani avait du sang sur les mains. Le chef d’Al-Qods (unité d’élite du Corps des Gardiens de la révolution islamique en Iran) a coordonné des attaques qui auraient fait près de 600 morts américains, notamment en Irak. Principal architecte de l’expansion de l’influence iranienne au Moyen-Orient, Soleimani était impliqué dans l’entraînement ou l’armement des milices chiites en Irak et en Syrie (au profit du régime de Bachar al-Assad), du Hezbollah au Liban et des rebelles houthis au Yémen.
Le fait de s’en prendre à une cible stratégique d’une telle importance est un geste lourd de conséquences, qui ne produira pas l’effet escompté par le gouvernement Trump. Soleimani est un personnage d’envergure, mais une force comme Al-Qods dispose sûrement d’une relève motivée pour reprendre son combat.
Washington espérait-il contenir Téhéran ? La frappe contre le général Soleimani et Abou Mehdi al-Mouhandis, numéro deux d’une organisation paramilitaire pro-iranienne en Irak, a plutôt mené à une explosion de colère et à des appels à la vengeance. L’Iran a déjà annoncé la reprise de son programme nucléaire. Le conseiller militaire de l’ayatollah Ali Khamenei, le général Hossein Dehghan, a promis des représailles contre les cibles militaires américaines. Ce à quoi le président américain, Donald Trump, a riposté par une menace voilée d’attaquer 52 sites iraniens, y compris des sites culturels (une référence aux 52 citoyens américains pris en otage à Téhéran en 1979). En septembre dernier, c’était au tour du secrétaire américain, Mike Pompeo, de qualifier « d’acte de guerre » le bombardement des installations pétrolières d’Aramco en Arabie Saoudite.
Les leaders des deux pays affirment qu’ils veulent éviter une guerre ouverte, mais ils enchaînent les « actes de guerre » l’un contre l’autre. Depuis le retrait unilatéral des États-Unis de l’accord sur le nucléaire, en mai 2018, tous les gestes faits de part et d’autre se résument en un mot : escalade.
L’accord encadrant le développement de la filière nucléaire iranienne, l’une des grandes réalisations de Barack Obama, irritait au plus haut point Donald Trump, d’une part parce qu’il n’empêchait pas l’Iran d’avoir des ambitions nucléaires, d’autre part parce que la levée progressive des sanctions redonnait à l’Iran une marge de manoeuvre pour poursuivre son expansion régionale au Moyen-Orient.
L’accord avait le mérite de fournir un cadre diplomatique inédit pour que Téhéran et Washington puissent régler leurs différends. En reniant leur signature, les États-Unis se sont privés de ce canal de communication. La stratégie de « pression maximale » de Donald Trump, un mélange de sanctions économiques et d’actes de dissuasion, vise à ramener l’Iran à la table des négociations pour obtenir un meilleur accord. Cette politique est un échec qui menace maintenant la paix mondiale.
La frappe aérienne contre Soleimani et al-Mouhandis a été menée en Irak, en violation de la souveraineté nationale du pays. Le Parlement irakien, noyauté par des factions pro-Iran, fera maintenant face à des pressions pour expulser les 5200 soldats américains stationnés en Irak. À terme, c’est la lutte contre le groupe terroriste État islamique qui sera compromise. Sans compter que des milices soutenues par Téhéran, dont le Hezbollah, seront tentées de cibler à leur tour les intérêts des États-Unis et ses citoyens.
Il est difficile d’imaginer que cette affaire se terminera bien. L’une des conditions essentielles de la désescalade passe par un retour du multilatéralisme et de la coopération internationale, ce qui n’est pas la tasse de thé de Donald Trump. Le président n’a pas avisé le Congrès, ni ses alliés, avant la frappe aérienne. Les justifications apportées après coup sont nébuleuses, faisant état d’une menace imminente aux contours flous.
Les élus, tant à la Chambre des représentants qu’au Sénat, devront demeurer vigilants, afin de mettre un terme à cette crise majeure. Pour que des voix modérées puissent s’exprimer au sein du régime iranien, il doit y avoir une équivalence à Washington. Le Congrès doit faire entendre raison au président Trump. Sa stratégie de « pression maximale » concourt au désastre maximal.
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