Iowa: Little State, Great Importance

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Iowa : petit État, grande importance

Lundi 3 février, le caucus de l’Iowa lance les primaires. L’Amérique scrute avec angoisse les militants démocrates de l’État, qui ont un poids politique majeur. Par Hélène Vissière, envoyée spéciale dans l’Iowa

Après plusieurs mois de campagne, des centaines de meetings politiques, des milliers de pubs télévisées et des dizaines de porte-à-porte de candidats, on pourrait imaginer les démocrates de l’Iowa mobilisés comme jamais. Mais à quelques heures d’un caucus scruté par le monde entier, le calme règne dans la petite bourgade rurale d’Alleman, située juste au nord de Des Moines, la capitale de l’État. Mary Reece, une pimpante retraitée qui travaille depuis un mois comme bénévole dans une des permanences de Bernie Sanders, le sénateur du Vermont, est de corvée de porte-à-porte. Elle a une liste de gens auxquels elle doit rappeler d’aller voter, pour Bernie si possible. Cette petite dame ronde est une fan. Elle aime par-dessus tout « son authenticité, son parler-vrai ». « Ça fait 40 ans qu’il tient le même discours sur les inégalités, preuve qu’il n’est pas une girouette et qu’on peut lui faire confiance », explique-t-elle.

Mais ce dimanche, le ciel est radieux dans l’Iowa et peu de gens sont chez eux. Ou alors ils font la sieste. Un quinquagénaire moustachu finit par entrebâiller sa porte. « Aucun des candidats ne me plaît, ils sont bien trop socialistes, je ne vais pas aller voter », répond-il. Mary Reece essaie de défendre Sanders. « C’est un social-démocrate, il ne veut pas la redistribution des richesses. » Le moustachu reste de marbre. Sa voisine hausse les yeux au ciel au nom de Sanders. « Je suis conservatrice », déclare-t-elle. Dans la maison suivante, Mary Reece n’a même pas encore frappé que la porte s’ouvre. Brian, un trentenaire tatoué, annonce que toute la famille a la grippe et qu’il vaut mieux ne pas s’approcher. « Et au fait le caucus ? C’est quand ? » demande-t-il.

Pas facile de mobiliser les électeurs. Mais c’est le cas pour chaque élection aux États-Unis, le taux de participation y est toujours faible. Pour le caucus de 2016, seul un quart des démocrates se sont déplacés, soit 171 000 sur les 587 000 recensés. Le record a été atteint en 2008 avec une participation de 40 %.

Cette année, on compte aussi de nombreux indécis. On les reconnaît dans les meetings électoraux, ils affichent une mine fermée et n’applaudissent pas. Dans leur coin, ils se livrent à de savants calculs pour déterminer quel candidat sera le plus à même de battre Donald Trump. C’est le cas de Katie, une coiffeuse de Des Moines, assise sur un banc avec son petit chien. « Je penche pour Joe Biden parce qu’il a une chance d’attirer des électeurs modérés et des républicains qui en ont marre de Trump. Pete Buttigieg ne passera jamais dans le Sud très conservateur. Quant aux autres, ils sont trop à gauche. »

D’où le suspense, encore aggravé par le fait que CNN et le quotidien local, le Des Moines Register, ont renoncé à publier leur dernier sondage, à la suite d’erreurs. Les stratèges politiques semblent cependant à peu près d’accord pour dire que Bernie Sanders a pris l’avantage sur Joe Biden. Ses meetings attirent les foules les plus nombreuses et les plus enthousiastes. Mais tout va dépendre, comme il ne cesse de le répéter, du taux de participation. S’il est élevé et que les jeunes et les Latinos se déplacent, ça peut faire ses affaires. En revanche, s’il est faible et que les électeurs sont surtout les plus de 65 ans, Joe Biden a des chances de l’emporter.

C’est tout de même une drôle de campagne qui restera dans les annales. Et pas seulement parce que le thermomètre bat des records de chaleur alors qu’en cette saison il fait en général un froid polaire. Pour cause du procès en destitution de Donald Trump, trois des candidats – les sénateurs Sanders, Warren et Klobuchar – ont disparu de l’Iowa pendant deux semaines, coincés à Washington. À tel point qu’Elizabeth Warren, faute de temps, a dû renoncer à prendre ses fameux selfies avec ses partisans. Mais elle a recruté son chien Bailey pour poser sur les photos à sa place…

Enfin, les démocrates ont dû cesser un temps leur campagne dimanche pour cause de Super Bowl, car tout le pays s’arrête pour regarder quatre heures durant la finale de football américain.

Un ou plusieurs vainqueurs ?

Pour ce qui est de la météo, inhabituellement clémente pour la saison, pas d’inquiétude. Tous les quatre ans, les candidats fixent anxieusement les cieux en priant pour qu’il n’y ait pas de tempête de neige ou de blizzard le soir du scrutin, ce qui a pour effet de décourager les électeurs âgés de mettre le nez dehors. « Pour une fois, le réchauffement climatique a du bon », s’amuse Paul, un des organisateurs sur le terrain de la campagne de Joe Biden.

La mobilisation est d’autant plus cruciale que le mode de désignation du candidat n’est pas classique dans l’Iowa. C’est un système de caucus, sans vote ni isoloir. Les électeurs démocrates doivent se rendre dans l’un des quelque 1 600 lieux prévus à cet effet à 19 heures tapantes. Ils se rassemblent en petits groupes dans la salle, chaque coin étant dévolu à un candidat. Ceux dont le candidat n’a pas atteint le seuil de 15 % de présents doivent ensuite rejoindre un autre groupe plus fourni. À la fin, tous les candidats qui ont obtenu plus de 15 % reçoivent un nombre de délégués.

Et cette année, il pourrait ne pas y avoir de clair vainqueur du caucus. Le Parti démocrate a en effet changé les règles. En 2016, Hillary Clinton l’avait emporté de justesse face à Bernie Sanders. Dans certains bureaux de vote, il a fallu les départager en jouant… à pile ou face ! Les pro-Bernie ont bien entendu contesté les résultats. Or, faute d’avoir un bulletin de vote ou de comptabiliser le nombre de voix obtenues par chaque candidat, il ne pouvait pas y avoir de recomptage.

Le parti a donc décidé, ce soir, de communiquer le nombre de votes obtenus aux deux tours et le nombre de délégués gagnés par candidat. Un souci de transparence qui risque de brouiller les résultats. Car on peut arriver à un scénario où Bernie Sanders remporte le vote populaire et Joe Biden, le plus de délégués. La grande démocratie américaine a parfois des usages un peu baroques…

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