La sensibilité de Donald Trump à la crise du coronavirus est largement fonction de ses intérêts personnels et électoraux. Il n’a pas pu faire fi des déclarations des autorités sanitaires fédérales qui, mardi, ont sonné l’alarme en affirmant que la question n’était pas de savoir si, mais quand le COVID-19 allait se propager aux États-Unis. Ce qui l’inquiète surtout, c’est de voir maintenant la maladie infecter Wall Street et faire croître le risque que le pays trébuche sur une récession qui nuirait à ses chances de réélection en novembre prochain.
Qu’on puisse ou non parler d’une pandémie, 47 pays sont désormais touchés par le coronavirus qui a fait quelque 3000 morts recensés à ce jour et par lequel plus de 80 000 personnes ont été contaminées, principalement dans la province chinoise du Hubei. Si 80 % des cas sont bénins, il reste qu’il s’agit encore d’un microbe mystérieux, dont les chaînes de transmission sont invisibles puisqu’il peut être transmis avant l’apparition des symptômes. Et si on n’a recensé qu’une soixantaine de cas aux États-Unis jusqu’à maintenant (il y en a une douzaine au Canada), il faut immédiatement se préparer, au nom du plus élémentaire principe de précaution, à la possibilité d’une propagation épidémique du virus, prévenait mardi Nancy Messonnier, directrice au Centre américain de contrôle et de prévention des maladies (CDC, en anglais). Ce qui n’exclurait pas, a-t-elle dit, d’avoir par exemple à fermer des écoles — comme le Japon vient de décider de le faire à compter de lundi prochain.
Accusé d’irresponsabilité, pour avoir notamment déclaré ces dernières semaines que le COVID-19 allait disparaître le beau temps venu, Trump s’est donc résigné mercredi à « agir » en nommant son vice-président Mike Pence à la tête d’une équipe de coordination anti-coronavirus. Qui en sera rassuré ? M. Pence est un ultraconservateur religieux qui, comme gouverneur de l’Indiana, se fit reprocher sa négligence dans la lutte contre le sida. Le gouvernement américain compte en outre débloquer la somme de 2,5 milliards $US en aide d’urgence ; les démocrates jugent qu’il en faudrait trois fois plus. C’est dire que M. Trump ne prend encore ses responsabilités que du bout des lèvres, s’entêtant absurdement à nier le problème autant que possible.
Or, le contexte est au désengagement de l’État en santé sous le président Trump et ses républicains depuis trois ans. Il ne suffira peut-être pas qu’il répète encore et encore, contre toute évidence, que les démocrates et les journalistes sont « alarmistes » et que le risque est « très bas ». En ce monde de chaînes d’approvisionnement mondialisées, il est facile d’envisager qu’une pandémie partie de la Chine mette fin à l’expansion capitaliste post-2008. M. Trump en souffrirait — et redoute déjà sûrement que la vérité ne le rattrape. Que la situation s’aggrave, ce que les experts jugent inévitable, et le coronavirus deviendrait forcément un enjeu électoral dans un pays où des dizaines de millions d’Américains n’ont pas accès aux soins de santé, faute d’assurances. Et où, comme par hasard, il se trouve que Bernie Sanders, ci-devant principal candidat à l’investiture présidentielle du Parti démocrate, défend un projet « radical » d’assurance maladie publique et universelle.
De fait, Donald Trump se comporte en démocratie comme le président chinois Xi Jinping se comporte en dictature. Pékin a passé presque deux mois à cacher les problèmes pour ensuite les minimiser, puis, finalement, en reconnaître l’urgence, fin janvier, non sans réprimer toute objection — à commencer par celles des internautes — défiant la parole officielle. Le premier continue d’ailleurs de vanter l’action du second. Et c’est ainsi que Trump, n’agissant que sur le terrain de la diversion partisane et de la méfiance vis-à-vis des institutions, boit les mots de Rush Limbaugh, commentateur radio de droite, qui a accusé la Dre Messonnier d’être sciemment alarmiste et de chercher à nuire au président parce qu’elle est la soeur de Rod Rosenstein, l’ancien procureur général adjoint qui a eu maille à partir avec M. Trump… Car, voyez-vous, l’État de droit et l’État profond ne font qu’un.
Et c’est ainsi que, suivant cette parenté conspiratrice, M. Trump parle de plus comme l’un de ses principaux épouvantails, le régime iranien, dont le président dit réformiste Hassan Rohani a attribué le coronavirus à un « complot de l’ennemi ». Un régime qui s’emploie lui aussi à minimiser le danger, mais qui est sans grande crédibilité, alors qu’au sein de la communauté médicale, il se dit que le pays s’achemine vers une catastrophe si le gouvernement ne prend pas bientôt au sérieux cette contagion silencieuse.
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