Aux Etats-Unis, sans emploi, sans protection
Alors que les Européens ont recours au chômage partiel, les Américains licencient. L’administration Trump tente de mettre en place une protection sociale qui ressemble à un revenu universel temporaire.
Aux Etats-Unis, les pertes d’emplois dues au coronavirus sont énormes. Dix millions de personnes ont demandé l’indemnisation chômage en deux semaines. Ce chiffre excède de loin la plus forte poussée du chômage jamais mesurée en deux semaines. Que font les politiques ? La réponse des Etats-Unis à la crise a été relativement rapide par rapport à 2008. Alors que les Européens, appuyés par l’Union européenne, déploient massivement le chômage partiel pour préserver l’emploi, les entreprises américaines licencient à tour de bras. Pourquoi ? Parce qu’aux Etats-Unis la mentalité n’est pas à la protection de l’emploi : quand c’est la crise, on licencie. Les politiques nouvellement adoptées sont censées limiter ces licenciements, mais le caractère partiel et incomplet de ces mesures les rend probablement moins efficaces. Il est difficile d’improviser un nouveau système dans l’urgence.
Les Etats-Unis ont une des protections sociales les plus faibles parmi les pays développés. Rappelons la situation avant cette crise. Les Américains n’ont pas droit au congé maladie payé ou à l’assurance maladie universelle. La durée des indemnisations chômage n’est que de six mois environ, et le chômage partiel est quasi inconnu des entreprises. En conséquence, les personnes sans travail qui ne sont pas éligibles aux indemnités chômage n’ont que très peu de programmes publics vers lesquels se tourner. L’équivalent du revenu de solidarité active (RSA) n’existe pas aux Etats-Unis.
Depuis que la crise du coronavirus a frappé, les politiques ont décidé de boucher temporairement certains trous dans la protection sociale. Ils ont créé un congé maladie payé pour les entreprises de moins de 500 salariés, couvrant les employés touchés par le coronavirus, soit directement, soit parce qu’ils doivent s’occuper de leurs enfants (1). Les grandes entreprises – qui généralement offrent un congé maladie de manière volontaire – ne sont pas couvertes par cette loi. Aujourd’hui, quand les Américains perdent leur emploi, ils perdent aussi leur assurance maladie, fournie par l’employeur. Ils doivent donc acheter une nouvelle couverture sur le marché créé par l’Obamacare. Les personnes licenciées peuvent obtenir une nouvelle protection, mais difficilement (2).
Le gouvernement a donc instauré une indemnité sans conditions pour les Américains aux revenus inférieurs à 100 000 dollars annuels, ce qui couvre environ 90 % de la population. Les montants varient, mais la plupart de ces gens recevront 1 200 dollars par mois et par adulte, plus 500 dollars par enfant. Cette mesure ressemble à un revenu universel temporaire. Dans le contexte américain, cet apport d’argent permet de combler quelques béances dans la protection sociale. Le candidat à la présidentielle Andrew Yang – qui n’est plus en lice – a grandement popularisé l’idée du revenu universel aux Etats-Unis. Une proposition qui pourrait connaître un nouvel élan avec cette crise.
Le gouvernement a également décidé d’augmenter les indemnités chômage de 600 dollars par semaine, et de prolonger la durée d’indemnisation de moitié. Les travailleurs indépendants et autres précaires peuvent aussi exceptionnellement bénéficier de cette assurance. Finalement, des dispositifs spéciaux encouragent le chômage partiel. Pour compléter cela, des emprunts avantageux ont été mis en place pour les petites entreprises : si elles préservent l’emploi, la partie des emprunts utilisée pour payer les salariés sera effacée.
Les Etats-Unis se sont ainsi dotés – sur le papier – d’un système de protection sociale plus complet, et même d’un système de protection de l’emploi, en très peu de temps. Le problème est que ce système est compliqué, et sa mise en place lente. Les entreprises ont l’habitude de licencier en cas de crise, une habitude difficile à changer à court terme. Depuis la mise en place de ce système d’indemnités, l’assurance chômage a été submergée de demandes. Les paiements directs aux particuliers ainsi que les emprunts aux petites entreprises ne sont pas encore opérationnels, alors même que la loi a été votée il y a plus d’une semaine. En attendant, les licenciements continuent.
Par rapport à la France et à d’autres pays européens, les Etats-Unis ont moins misé sur la préservation de l’emploi. Ils ont plutôt lancé une stratégie tous azimuts incluant protection de l’emploi et revenus minimums aux personnes. Quelle est la meilleure stratégie ? L’avenir nous le dira. Si la période de confinement n’est pas trop longue, la stratégie européenne pourrait permettre de relancer l’économie plus rapidement, en remettant les gens au travail sans passer par la case embauche. Dans tous les cas, cette crise aura rappelé aux Américains l’importance du système de protection sociale : le marché n’a pas réponse à tout.
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