The United States: From 1 Epidemic to Another

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Etats-Unis, d’une épidémie à l’autre

Devenu l’épicentre de la pandémie de Covid-19, le pays était déjà frappé par des problèmes sanitaires graves. Dépressions, suicides et opiacés faisaient des ravages au cœur de l’Amérique. Des milliers d’hommes et de femmes y meurent de «désespoir».

Tribune. Les Etats-Unis sont devenus le pays le plus touché par l’épidémie mondiale de Covid-19. A la date du 21 avril, plus de 42 000 personnes avaient déjà trouvé la mort. L’incohérence de la gestion de la crise par un président fantasque et incompétent, les difficultés d’accès au système de soins pour les plus démunis et le lourd tribut payé par la communauté afro-américaine, sont autant d’éléments souvent mis en avant dans le flot d’informations qui envahit nos vies confinées depuis plusieurs semaines. Mais un point essentiel est négligé : les Etats-Unis étaient déjà confrontés à un problème sanitaire majeur avec une surmortalité anormalement élevée d’une partie de la population. Une épidémie chasse donc l’autre, et leur enchevêtrement pourrait avoir des conséquences dramatiques et durables pour la première puissance mondiale.

Au cours d’un voyage dans tous les Etats du pays au lendemain de l’élection de Donald Trump en 2016, Mark Zuckerberg, le fondateur du réseau social Facebook, perd son sourire de façade. Alors que la Silicon Valley finance des recherches sur la vie éternelle grâce à l’intelligence artificielle, le sémillant entrepreneur croise des morts par milliers. Loin des images d’Epinal de la publicité, dépressions, suicides et opiacés font des ravages au cœur de l’Amérique. On y meurt beaucoup, et bien avant les 80 ans annoncés dans les statistiques nationales sur l’espérance de vie. Longtemps, ce triste destin était réservé aux minorités ethniques, notamment les Afro-Américains dans les grands centres urbains et les populations amérindiennes dans l’ouest du pays. Depuis peu, son élargissement aux hommes et aux femmes blancs, d’âge moyen, dotés d’un faible niveau culturel, est un marqueur supplémentaire de la crise sanitaire de la démocratie aux Etats-Unis.

Dès 2015, un couple d’économistes, Anne Case et Angus Deaton, avait tiré la sonnette d’alarme avec un constat simple : la courbe du taux de mortalité pour les hommes et les femmes pauvres, âgés de 45 à 54 ans, remonte depuis la fin des années 90, alors qu’elle baisse pour l’ensemble des pays occidentaux grâce à l’amélioration de l’alimentation et aux progrès de la médecine. Case et Deaton apportent une explication glaçante : au cœur du pays le plus riche du monde, des hommes et des femmes meurent par milliers de «désespoir», selon leur formule. Dans le contexte de creusement des inégalités, de fragmentation du marché du travail et de crise du logement pour les plus démunis, la consommation d’alcool ou de drogue, la dépression et les suicides causent la mort silencieuse des citoyens les plus vulnérables.

Du Montana à la Louisiane, en passant par la Virginie-Occidentale et le Nebraska, une macabre danse funèbre se déroule. Dans ces «comtés du désespoir», l’espérance de vie était déjà plus faible ; elle baisse encore plus, en raison tout d’abord de l’augmentation du nombre de suicides. Traditionnellement, aux Etats-Unis comme ailleurs dans le monde, les plus jeunes et les plus âgés se suicidaient. Depuis peu, des hommes et des femmes d’âge moyen accomplissent le geste fatal. Le centre du pays – l’hinterland – est particulièrement touché, notamment les zones rurales. A l’aide d’armes à feu ou de médicaments, de plus en plus de citoyens arrêtent définitivement de croire au rêve américain.

Ces comtés du désespoir sont également ravagés par un autre fléau que personne n’attendait dans ces régions rurales : les overdoses. Longtemps, de telles morts étaient associées aux grands centres urbains comme New York ou Los Angeles. Désormais, on en compte beaucoup en Virginie-Occidentale ou dans le Kentucky. Ce drame a pour origine la consommation massive et régulière d’opiacés. Au départ, les pilules étaient absorbées pour guérir des petits maux du quotidien (douleurs lombaires, anxiété passagère, fatigue). Leader dans le domaine des antidépresseurs, l’entreprise Pharma les a commercialisées comme si elle vendait du pop-corn. L’une de ses premières publicités promettait de «retrouver le swing» grâce à l’oxycodone, son médicament le plus vendu pour soigner les petites douleurs. A défaut de «swing», les consommateurs sont entrés dans une spirale infernale. L’addiction a provoqué la prise de drogues dures (cocaïne, héroïne). A nouveau, les hommes et les femmes d’âge moyen sont les premières victimes dans cette Amérique désormais sous antidépresseurs.

Longtemps ignorée par les autorités sanitaires, cette crise fait l’objet d’une attention croissante, même si chacun sait qu’il n’existe pas de solution magique aux traitements de l’addiction et de la dépression, surtout lorsque celles-ci sont nourries par les inégalités économiques et sociales. Le «mur» promis par Trump pour éloigner les vendeurs de drogue en provenance du Mexique ou les actions en justice contre les grands groupes pharmaceutiques chassent l’ombre pour la proie. Seule une politique de «santé publique de précision», comme disent les spécialistes, et une meilleure prise en charge de la couverture médicale, envisagée du temps de Barack Obama, permettront de protéger les populations en proie au désespoir.

Point essentiel pour comprendre ce qui se joue en ce moment aux Etats-Unis, l’épidémie du Covid-19 se juxtapose donc à cette première crise sanitaire. Pour l’heure, les chiffres de la mortalité annoncent des différences dans la composition sociale des populations affectées. Le virus touche des populations plus urbaines et âgées, notamment dans le Nord-Est, et épargne jusqu’ici les zones rurales. Moins touchée par les opiacés et surtout les suicides, la population afro-américaine est, en revanche, fortement affectée par le virus. Mais dans les deux cas, les populations les plus pauvres figurent au premier rang des victimes. Que l’on meurt du Covid-19 ou du désespoir, on meurt avant tout en fonction de son revenu mensuel aux Etats-Unis.

Cette succession de crise sanitaire n’en est qu’à son début. Il est en effet hautement probable que le dérèglement généralisé de l’économie et ses conséquences sociales alimenteront encore plus le désespoir d’une partie de la population. Que vont devenir dans les prochaines semaines les millions de chômeurs et les personnes sans assurance sociale ? Dans une danse toujours macabre, la possible fin de la diffusion du coronavirus laissera toute la place à la résurgence de l’autre sur l’ensemble du territoire. En 1976, dans un essai un peu oublié aujourd’hui, la Chute finale, le démographe Emmanuel Todd prédisait l’effondrement du modèle soviétique en décortiquant, avec talent, les indicateurs médicaux et sociaux de l’URSS. L’état sanitaire des Etats-Unis en dit long aujourd’hui sur le délabrement de sa démocratie. Avant de se précipiter pour relancer le business as usual, le président Donald Trump ferait mieux de prendre très au sérieux le corps malade de la nation qu’il dirige. D’une épidémie l’autre, le pays donne à voir, dans une lumière de plus en plus blafarde, les fragilités de son modèle

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