Freedom According to Trump

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La liberté selon Trump

Guy Taillefer

22 avril 2020

ÉDITORIAL

En campagne électorale en 2016, Donald Trump a plus d’une fois laissé entendre que ses partisans auraient peut-être raison de prendre les armes si « crooked Hillary » était élue à la présidence. L’année suivante, en août 2017, face aux violences survenues à Charlottesville, en Virginie, au cours de manifestations organisées à la mémoire du général Lee, chef des troupes confédérées pendant la guerre de Sécession, la tiédeur de la réaction du nouveau président revenait encore à excuser les positions défendues par la nébuleuse de groupuscules d’extrême droite agglutinés à l’Alt-Right.

Il s’en remet aux mêmes penchants depuis quelques jours en donnant sa bénédiction aux manifestants, minoritaires mais bruyants, qui se « révoltent » ici et là contre les mesures de confinement employées dans la lutte contre la pandémie de coronavirus. Et c’est ainsi que son tweet de vendredi dernier n’appelait pas seulement, en majuscules, à « libérer la Virginie », mais aussi « à sauver votre génial deuxième amendement » sur le droit de porter des armes, un droit qu’il ne se prive pas de dire qu’il est « assiégé ».

Il n’est pas étonnant que, fomentant les frustrations, M. Trump s’en remette à des réflexes qui ne l’ont pas empêché d’être élu en 2016. À son populisme anti-establishment sans subtilité. À une promotion xénophobe et incendiaire de la liberté. À une sorte tout à fait dangereuse et inconsidérée d’appel aux armes.

Sauf qu’en l’occurrence, sa stratégie a forcément quelque chose de désespéré, de désarmé puisque, face à l’économie qui s’écroule et à un taux de chômage qui a plus que doublé en un mois, l’homme perd l’un de ses principaux arguments de campagne. Ce n’est pas par hasard si, lundi soir, il y est allé de nouvelles mesures migratoires en annonçant la suspension d’octroi de cartes vertes et de visas de travail temporaires.

Le défi pour le monde occidental est maintenant de sortir du coma économique induit, en contenant les risques d’une deuxième vague pandémique. M. Trump se présente à ce défi de façon essentiellement partisane, alors que la situation soulève des enjeux qui le dépassent. Ce virus en mouvement exige pourtant une réflexion capable d’évoluer, capable de tirer des leçons utiles pour la suite du monde — sociales et économiques pour les ravages parmi les pauvres, les classes moyennes et les PME ; sanitaires en ce qui a trait aux effets du confinement et à l’impérieuse question de l’immunité collective. Les États-Unis sont dans un tel état de confusion politique qu’on a du mal à croire que les lignes directrices fédérales de sortie de crise graduelle, dévoilées jeudi dernier, aideront les États à agir de façon plus cohérente.

Or, les mouvements de protestation, très marqués à droite sur le plan idéologique, qui ont fait irruption de manière fort bien organisée dans une quinzaine d’États, du Michigan au Texas, ont peu ou prou à voir avec ces questionnements. « Jésus est mon vaccin », disait lundi la pancarte d’un manifestant à Harrisburg, en Pennsylvanie. Minoritaires, ils sont en rupture nette avec la majorité des Américains qui, eux, selon les sondages, sont loin de balayer sous le tapis la menace du coronavirus. La droite évangélique jouant le rôle prépondérant que l’on sait au sein du Parti républicain, on aurait tort pour autant de minimiser ces manifestations.

Non plus qu’il ne faille sous-estimer la capacité de la droite dure d’influencer l’opinion publique. Samedi à Austin, au Texas, aux cris de « Fire Fauci ! », la manifestation était emmenée par les trafiquants de théories conspirationnistes Alex Jones et Owen Shroyer, ce dernier ayant notamment soutenu que la tuerie de l’école primaire de Sandy Hook, en 2012, était une arnaque conçue par le gouvernement pour nuire aux défenseurs du deuxième amendement. Dans le confinement, ils voient avant tout une atteinte à leurs libertés constitutionnelles et une nouvelle cause dans leur guerre contre la « tyrannie » de l’État. Du reste, rappellent maints observateurs, le Tea Party était également un mouvement minoritaire avant de parvenir à influencer lourdement et durablement le Parti républicain. Cela dit sans vouloir être alarmiste.

M. Trump excite sa base à l’orée d’une nouvelle présidentielle tout en faisant l’effort surhumain de se montrer compétent et préoccupé pendant ses points de presse quotidiens. Pendant ce temps, l’épidémie se répand des villes aux banlieues et aux régions rurales. On déconfine ici, notamment dans les États républicains du Sud, là non. M. Trump n’est pas l’homme de la situation et il est plus épeurant que jamais de penser qu’il est aussi le président d’un pays qui est notre voisin immédiat.

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