Présidentielle américaine: conflits viraux
En relations internationales comme dans l’exercice de sa présidence affolée, Donald Trump est loin depuis trois ans de rendre aux États-Unis sa dite « grandeur ». La pandémie en accélère la démonstration. Les États-Unis sont tout, dans le moment, sauf « great again ».
Aussi, et comme il est de plus en plus évident que le noir nuage du coronavirus ne se sera pas dissipé la présidentielle de novembre venue, la Chine sera d’ici là pour M. Trump l’ennemi que fut hier l’URSS pour Ronald Reagan, à slogan égal. Ennemi sanitaire, ennemi économique et géopolitique, ennemi bien visible.
La Maison-Blanche aura au départ évité d’accabler Pékin — si ce n’est pour parler du « virus de Wuhan » —, vu l’accord commercial conclu l’année dernière au terme de moult esclandres et dont le président américain comptait faire un argument de campagne.
Le ton a radicalement changé depuis une semaine, alors que M. Trump accrédite maintenant la théorie liant la propagation du coronavirus à des négligences commises au laboratoire de virologie à sécurité maximale P4 de Wuhan, la ville chinoise d’où est partie l’épidémie. Dimanche, et mercredi encore, son secrétaire d’État, Mike Pompeo, a continué de tourner les coins ronds, affirmant que cette théorie s’appuyait sur des preuves « immenses » et « significatives » et l’affirmant malgré les réticences du renseignement américain à tirer des conclusions définitives.
La meilleure défense, c’est l’attaque, dirait M. Trump. Aussi, il n’a donc pas été long à prétendre que la Chine s’employait à lui nuire électoralement à la faveur du démocrate Joe Biden.
Qu’importe de toute façon aux républicains que le mal soit parti du marché aux fruits de mer de Huanan ou qu’il se soit échappé d’un laboratoire pour cause de failles sécuritaire. L’opacité virulente du régime chinois en cette affaire comme en tout le reste laissera nécessairement planer un doute facile à envelopper dans des insinuations xénophobes. Les sondages d’opinion ont tôt fait de montrer qu’il est politiquement rentable de dénoncer les « mensonges » de Pékin.
Ce faisant, notent des experts, la crise universelle provoquée par la COVID-19, mettant en évidence les enjeux d’approvisionnement, se trouvera du reste à favoriser dans le long terme la stratégie de « découplement » économique que les États-Unis appliquent face à Pékin et qui s’est accentuée ostensiblement sous M. Trump. Une stratégie qui vise à contenir l’expansion du pouvoir chinois en bloquant l’accès de la Chine au marché américain. Et une stratégie qui continuera sans doute d’être promue, quel que soit le prochain président, puisque les démocrates partagent ses objectifs.
Plus dangereux pour M. Trump, dont les perspectives sont compromises par la crise économique, est l’ennemi intérieur que sont les démocrates, nonobstant la faiblesse de Joe Biden, leur candidat à la présidence. On parle beaucoup des frontières qui se dressent entre les pays, par réaction de démondialisation, mais on parle peu de celles qui se dressent à l’intérieur même des États-Unis, où le déconfinement s’organise, d’une ville et d’un État à l’autre, dans une inquiétante confusion.
Phénomène fort intéressant : depuis trois semaines se sont formées trois alliances régionales d’États pour pallier l’ineptie d’une présidence très critiquée pour sa gestion de la crise, y compris dans les rangs conservateurs. L’une s’est constituée sur la côte ouest, emmenée par la Californie, une autre dans le Nord-Est, autour du gouverneur de l’État de New York, Andrew Cuomo, que beaucoup voudraient bien voir remplacer M. Biden. La troisième rassemble des États du Midwest. Ils sont une quinzaine de gouverneurs au total, démocrates pour l’essentiel. C’est dire que le coronavirus vient élargir la distanciation partisane et idéologique qui déchire le pays. À tel point que certains se demandent, quitte à faire de la politique-fiction, si la pandémie ne menace pas l’existence même de l’Union — si M. Trump, héros autoproclamé de la « grandeur » des États-Unis, ne préfigure pas plutôt sa dislocation. La question se pose : que se « sépare » la Californie, que son gouverneur, Gavid Newsom, qualifie parfois d’« État nation », et elle formerait l’une des premières économies du monde.
À l’échelle internationale, l’objection maladive et populiste de M. Trump à toute idée de coopération est destructrice, mais force en même temps la réflexion sur l’ordre autour duquel s’est développée la planète, de façon toujours plus inégalitaire, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. De la même manière que sa présidence dysfonctionnelle, qui vit avec cette pandémie un point d’orgue, force les Américains à s’interroger sur ce qu’ils deviennent. À quelque chose malheur est potentiellement bon.
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