Staring Daggers

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En chiens de faïence

Donald Trump accusant l’OMS d’être une « marionnette » de Pékin et la Chine d’être responsable d’une « tuerie de masse mondiale », il arrose de sa démagogie une dynamique qui n’est pas malgré tout sans fondements. Le paradoxe étant bien entendu que M. Trump, se dédouanant face à la crise de la COVID-19, participe de cette dynamique par son unilatéralisme à outrance.

Dans le monde pré-trumpien, la tendance à se désinvestir du système onusien dans son ensemble était déjà bien à l’œuvre en Occident, en dépit des professions de foi multilatéralistes. De plus, la Chine ne s’est pas fait prier pour occuper le terrain, en toute logique expansionniste.

Dans le contexte exacerbé de la pandémie, le cas de l’Organisation mondiale de la santé est un exemple probant de cette dynamique. Dénonçant n’importe comment la complaisance de l’OMS à l’égard de Pékin, M. Trump menace par isolationnisme grossier de couper la contribution américaine — quelque 750 millions $CA par année — à l’organisation intergouvernementale, ce qui reviendra en fait à laisser un peu plus encore le champ libre à la Chine.

Et c’est ainsi que la grand-messe virtuelle de l’OMS, célébrée en début de semaine par ses 194 États membres, n’a pas fait autre chose que de mettre en évidence la crise dans laquelle s’enfonce l’organisation. Une conférence qui, au final, fut moins l’occasion d’affirmer concrètement l’urgence d’une coopération mondiale que d’assister, sur fond de course commerciale au vaccin, à un autre chapitre de l’affrontement sino-américain. Qu’on s’y soit engagé à tenir une hypothétique enquête « impartiale, indépendante et complète » sur la gestion de la pandémie ne rassurera personne quant aux espoirs d’une plus saine collaboration internationale.

Une série de papiers publiés dans Le Monde ces dernières semaines sur la crise de gouvernance mondiale crûment éclairée par la pandémie souligne que, les États-Unis rompant en toutes choses avec la « méthode multilatérale » élaborée en relations internationales depuis 1945, la Chine se sert de ce multilatéralisme pour déguiser ses visées de domination. Dans le cas de l’OMS, Pékin a eu beau jeu d’exploiter avec patience les faiblesses de l’organisation pour étendre son « soft power », particulièrement en Afrique, et de s’en servir « comme d’une plateforme pour signer des accords bilatéraux avec de multiples entités : laboratoires, hôpitaux, centres de recherches, programmes et fonds internationaux… »

Plus largement, la situation à l’OMS est à l’image de celle que vit l’ensemble du système onusien et, en particulier, de son Conseil de sécurité (CS), une instance devenue pour l’essentiel le terrain de luttes de pouvoir entre puissances surarmées. Les opinions publiques qui n’en attendent plus grand-chose depuis longtemps constatent la paralysie, sinon l’effet de nuisance d’une institution censée défendre « la paix et la sécurité » du monde. Présidente du CS en mars, la Chine a tout fait pour empêcher qu’on y parle de la pandémie. Et deux mois après l’appel lancé par le secrétaire général de l’ONU à soutenir une résolution en faveur d’un « cessez-le-feu mondial » pour mieux lutter contre la maladie, le Conseil n’a pas été foutu de lever le petit doigt.

Entre l’opacité d’une dictature chinoise qui joue sur tous les tableaux et la répugnance de la Maison-Blanche au multilatéralisme, l’ordre international traditionnel a de plus en plus de mal à tenir la route. De quoi alors devrait être faite sa recomposition ? Barack Obama aura timidement pris acte en son temps de la nouvelle réalité d’un monde multipolaire, dans un contexte où les Américains n’en pouvaient plus des guerres d’Irak et d’Afghanistan, et tenté d’y adapter les États-Unis sans renoncer à un certain leadership international. Que Joe Biden soit élu président et son élection changera-t-elle quelque chose aux équilibres du monde ? Sommes-nous encore longtemps condamnés à nous regarder — à l’échelle locale comme internationale — en chiens de faïence ?

La pandémie appelle une révolution dans notre rapport à la nature et à la santé. Dire que « ça va bien aller », c’est encore prétendre que l’humain peut tout contrôler. Dans les pays en développement, la crise sanitaire qui continue de prendre de l’ampleur annonce d’épouvantables pénuries alimentaires. Pour l’avenir du monde, Louise Arbour, ancienne haute-commissaire des Nations unies pour les droits de l’homme, plaidait récemment dans nos pages pour une « forme renouvelée » de multilatéralisme et de coopération internationale : « Le désastre dans lequel le monde est plongé est à la fois une cause et une conséquence des inégalités entre les pays et à l’intérieur des pays ». Contre les Trump et les Xi Jinping, il y a place pour un leadership « ambitieux et avant-gardiste » au sein duquel, écrit-elle, le Canada a un rôle à jouer. Très juste. Alors, qu’il le joue. Un simple retour à la normale serait faussement rassurant.

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