Editorial. L’affaire George Floyd et la vague de protestation qui s’ensuit placent le président américain sur la défensive sur deux terrains – la pandémie et la question raciale – qui sont loin d’être les siens et sur lesquels sa gestion s’avère calamiteuse.
Manifestation contre le racisme et les violences policières, à Boston, le 7 juin. JOSEPH PREZIOSO / AFP
Editorial du « Monde ». Insoutenable, le spectacle de l’agonie de George Floyd, ce Noir américain de 46 ans étouffé sous le genou d’un policier blanc le 25 mai à Minneapolis (Minnesota) n’a pas seulement déclenché des émeutes destructrices.
La révolte qu’a suscitée ce meurtre filmé en direct a provoqué aux Etats-Unis une vague de protestation d’un genre nouveau contre le racisme et les violences policières : Noirs, Blancs, Latinos, hommes et femmes, du centre droit à la gauche radicale, défilent pacifiquement et au coude-à-coude, dans les grandes métropoles comme New York, Los Angeles ou Seattle, mais aussi dans une multitude de petites villes. Il ne s’agit plus d’explosions de colère dans les ghettos noirs, comme le pays en a tant connu dans le passé, ni d’une mobilisation strictement militante, mais d’une opportune lame de fond multiraciale.
D’une seule voix, des Américains de toutes origines non seulement dénoncent les bavures racistes, mais proclament une évidence trop souvent oubliée : « la vie des Noirs compte ». Que des Blancs, qui l’ignorent par définition, admettent massivement la peur de la police que suscite le simple fait d’être noir et s’en scandalisent est en soi nouveau. La spontanéité de ce mouvement national d’indignation en renforce la signification politique : les cortèges, organisés seulement via les réseaux sociaux, rassemblent des porteurs de pancartes fabriquées artisanalement et rédigées par leurs soins.
Sur la defensive
Ce réjouissant sursaut civique contrebalance l’image détestable que donne Donald Trump de son pays. L’attaque virulente de l’ancien secrétaire à la défense James Mattis contre un président « qui essaie de nous diviser », les distances prises, au nom de la Constitution, par l’actuel titulaire du poste, Mark Esper, avec la menace présidentielle d’envoyer l’armée rétablir l’ordre, reflètent une vigueur du débat démocratique et un certain isolement de M. Trump. Même s’il est bien trop tôt pour prédire l’effet de l’affaire George Floyd sur une présidentielle prévue dans cinq mois, l’émotion et la mobilisation en cours pourraient en modifier l’équation.
Certes, à l’instar du républicain Richard Nixon, élu en 1968 après les émeutes raciales consécutives à l’assassinat de Martin Luther King, Donald Trump peut jouer sur sa fermeté à faire respecter « la loi et l’ordre ». Certes les jeunes Noirs déçus par Barack Obama auront du mal à se mobiliser en faveur de son ex-vice-président, Joe Biden, qui vient d’atteindre la majorité des délégués nécessaires à sa nomination comme adversaire de M. Trump.
Mais ce dernier, qui aime tant fixer l’agenda, se trouve désormais sur la défensive sur deux terrains – la pandémie et la question raciale – qui sont loin d’être les siens et sur lesquels sa gestion s’avère calamiteuse : 110 000 morts du Covid-19 et une incapacité ne serait-ce qu’à reconnaître la réalité du racisme dans la police. Sans compter la plus grave crise économique depuis la Grande Dépression des années 1930.
Au démocrate Joe Biden, qui vient de sortir du sous-sol confiné de sa maison, d’où il diffusait ses discours, pour faire campagne en chair et en os, de prouver qu’il représente une alternative crédible à un président dont chaque parole, chaque acte depuis le meurtre de George Floyd, sonne comme un terrible appel au retour de la vieille guerre civile raciale américaine.
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