[Tribune] George Floyd, l’Union africaine et l’identité noire
Dans la foulée de la colère africaine-américaine face au meurtre de George Floyd par un policier blanc,
le mouvement pour demander la vérité sur la mort d’Adama Traoré en France repart de plus belle. Mais la naissance d’une communauté noire transnationale est-elle vraiment possible ?
De Paris à Dakar, les populations noires se sont elles aussi insurgées contre le meurtre de l’Africain-Américain George Floyd, perpétré par un policier blanc. L’indignation planétaire suscitée par ce énième crime racial de la police américaine a donné des idées à certains activistes, lesquels réclament désormais une réaction politique coordonnée de la communauté noire à travers le monde.
En face, d’autres s’interrogent sur cette appropriation d’un problème qu’ils voudraient exclusivement américain. En témoignent les vives réactions et l’incompréhension de leaders politiques français surpris par l’ampleur de la manifestation en mémoire d’Adama Traoré, un jeune homme de 24 ans décédé lors de son interpellation par la gendarmerie française en juillet 2016 – la recherche des causes exactes de sa mort donne lieu à un marathon médico-légal depuis quatre ans.
L’affaire George Floyd entre en résonance avec l’affaire Adama Traoré, c’est un fait. Mais, dans un monde dominé par le concept d’État-nation, peut-il exister une communauté noire transnationale politiquement active ?
Divergences d’intérêts
Une communauté désigne un groupe social constitué de personnes partageant les mêmes caractéristiques, le même mode de vie, la même culture, la même langue et les mêmes intérêts. Au regard de ces critères, cette communauté noire que certains rêvent de convoquer n’existe pas, elle n’est que fantasme. Si les populations noires partagent indéniablement la même couleur de peau, c’est bien là leur seule caractéristique commune. Elles n’ont ni langue, ni culture, ni intérêts communs.
Alors que les luttes africaines-américaines et afro-européennes sont dirigées principalement contre un racisme d’État qui les ostracise, celles des Noirs africains visent plutôt à satisfaire leurs besoins élémentaires (sécurité, santé, etc.). Aussi les divergences d’intérêts et d’objectifs des différentes populations noires demeurent-elles des obstacles majeurs à une action politique globale.
Une expérience sociale commune
L’absence d’une communauté noire n’a toutefois pas empêché le développement d’une identité noire qui, comme le rappelle l’historien Pap Ndiaye, est fondée sur une expérience sociale commune. Cette expérience partagée par les populations noires est d’abord le fruit d’une histoire commune. En outre, qu’elles soient africaines-américaines, antillaises ou africaines, celles-ci trouvent leurs origines sur un même continent et partagent un passé marqué par les systèmes esclavagistes et/ou coloniaux. De même, musicalement, bien que les sonorités diffèrent, des porosités existent entre les ambianceurs de Lagos et les rappeurs du Bronx.
C’est ce socle commun qui permet le développement d’un sentiment identitaire, lequel rend les populations noires solidaires et actrices de ce combat initialement africain-américain. C’est en ce sens que la condamnation officielle de ce meurtre par le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, interpelle : elle donne une voix politique à un ensemble qui jusque-là en était dépourvu.
Pression médiatique
S’il est peu probable qu’une initiative africaine puisse s’imposer dans le débat racial américain, cette indignation au plus haut niveau politique du continent donne un écho significatif à cette notion d’identité noire et accentue la pression médiatique sur les décideurs étatsuniens. En l’absence d’une communauté politiquement et durablement structurée,
le sentiment identitaire peut être un vecteur de solidarité autour des luttes ponctuelles que mènent les populations noires à travers le monde. Tel est le cas présentement.
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