ÉDITORIAL. Dans le sillage des préoccupations liées à l’environnement, puis des questions de genre, les manifestants antiracisme font sauter le cadre habituel des revendications politiques
Cela reste en partie un mystère. Comment la mort de George Floyd, sous le genou d’un policier le mois dernier dans le Minnesota, a-t-elle pu provoquer pareille réaction nationale et presque mondiale? Certes, par leur dureté, ces images sont proprement insupportables, et elles ont pu se répandre comme jamais sur les réseaux sociaux, auprès d’une population confinée, collée à ses écrans. Mais la «génération George Floyd», dans ses disparités, semble aussi s’être réveillée sous le coup d’autres motifs, plus diffus mais pas moins scandaleux à ses yeux. Les difficultés et les inégalités économiques, les discours de fermeture triomphants, la fin des illusions politiques… Les violences policières ne représentent en vérité que le bout de la matraque. Ce ne sont pas les images qui sont dures, mais la réalité qu’elles reflètent.
Or, ce type de contestation reste en grande partie ingérable, littéralement. Dans le sillage des préoccupations liées à l’environnement, avec Greta Thunberg, puis des questions de genre (#MeToo), le mouvement Black Lives Matter puise dans un registre impraticable par les responsables politiques, malgré les efforts plus ou moins sincères de certains d’entre eux. Les manifestations gigantesques et le déboulonnage de statues trahissent à la fois la démesure de ces revendications et la petitesse des réponses qu’on s’emploie jusqu’ici à leur apporter. «On ne peut pas réécrire l’histoire», disent les bonnes âmes en confondant à dessein histoire et mémoire, et en faisant mine d’ignorer que le lien d’une société à son passé est le miroir d’un moment donné. Ce lien se négocie avec le passage du temps, comme tout le reste. C’est le fruit d’un rapport de force.
Donald Trump, le président des Etats-Unis, a choisi Tulsa, dans l’Oklahoma, pour sonner ce week-end le départ de sa campagne électorale «post-Covid-19» (croit-il). Cette ville, théâtre d’un des pires massacres commis contre les Noirs dans l’histoire des Etats-Unis, demeure un symbole des tensions raciales. La lutte de «la génération George Floyd» n’est pas celle d’une jeunesse radicalisée contre un ordre bienveillant. Il s’agit, ici aussi, d’établir un rapport de force contre ceux qui ne veulent pas la voir émerger.
Comme le montrent divers témoignages dans ce journal, ce combat, inédit dans sa forme mais héritier d’une longue histoire, ruisselle dans des secteurs où est absent ce face-à-face politique. Comme l’opiniâtreté de Greta Thunberg et de ses coreligionnaires nous a fait revoir notre rapport aux voyages, comme #MeToo a détrôné des rois d’Hollywood, le mouvement antiracisme éclaire sous un jour nouveau la présence des athlètes noirs dans le sport américain ou le racisme institutionnel qui règne dans les milieux scientifiques et académiques. Autant de statues qui restent à déboulonner.
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