The Aftermath

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« Rien ne sera plus jamais comme avant. »

Voilà une expression galvaudée, souvent critiquée — à juste titre — parce que, formule à l’emporte-pièce et englobante, elle fait bon marché des nuances et des détails. Et donc, qu’elle peut aisément — au sens le plus littéral — être réfutée.

On l’avait beaucoup entendue après le 11 septembre 2001. La revoici en pleine force avec la pandémie.

Ben voyons ! La Terre continue de tourner dans le même sens, les gros poissons de manger les petits, les inégalités sociales d’exister, les nations et les civilisations de s’affronter (ou, parfois, de coopérer), la nature humaine d’être ce qu’elle est, avec des gens toujours aussi stupides ou brillants, humbles ou arrogants…

Les fausses croyances et idéologies folles continuent de prospérer, la gauche et la droite de se déchirer, quelques superpuissances de s’imposer aux autres, et les petits de leur résister (plus ou moins selon les cas)… Quant aux virus et autres bacilles, ils reviennent périodiquement hanter le genre humain. On peut appliquer tout cela à l’irruption des Européens dans les Amériques (choc de civilisations et choc viral), à la Révolution française, à la Révolution russe, à la Révolution tranquille au Québec, à la Grande Dépression, aux deux guerres mondiales, à l’Holocauste, à la conquête de la Lune, aux bouleversements inouïs d’Internet et du numérique, à Black Lives Matter, au djihadisme et à beaucoup d’autres mouvements, événements, épisodes ou renversements. Et même, à l’invention de la roue et de l’eau courante, ou à la découverte du feu et de l’électricité. Tout change, tout est pareil.

Et pourtant…

Selon les époques, l’Histoire stagne ou accélère. Et parfois — rarement, comme dans le changement climatique — peuvent en découler de vraies mutations de

l’humanité. Le recul fait ressortir des événements sous-estimés en leur temps… ou au contraire minore ce qu’on avait alors pris pour un grand tournant.

Le 11 Septembre a-t-il « tout changé » ? Certainement pas. Par leur réaction à l’agression, par leurs mensonges en Irak, les États-Unis ont, paraît-il, « mis le feu au Moyen-Orient ». Sans doute ont-ils jeté des braises… sur un feu déjà présent. Autre événement qui pâlit rétrospectivement : le « Printemps arabe » de 2011.

Mais le « printemps 2020 » face à l’Histoire ? Il a pour lui beaucoup d’éléments convergents, une étendue géographique, des ramifications symboliques, sanitaires, politiques, économiques, stratégiques… que peu d’événements (ou de périodes concentrées) ont présentés depuis un siècle ou deux.

Rien ne sera plus comme avant ? Faux, bien sûr. Mais beaucoup de choses capitales sortiront, oui, bouleversées, méconnaissables de la période actuelle. Les communications entre humains, le télétravail, les voyages, le tourisme de masse, la banalisation polluante et souvent abrutissante des envolées au bout du monde (péchés de notre civilisation), le commerce de détail en Occident (ravagé), le destin des nations : tout cela est tourneboulé par les six premiers mois de 2020.

L’ouragan sanitaire de la COVID-19 — avec son « effet domino », économique, politique, stratégique — agit comme un puissant révélateur. Il fait ressortir, mais accentue également, des tendances qui certes étaient déjà là, mais qui sont maintenant claires et probablement irréversibles. Dans l’ordre géopolitique — on l’a dit et redit ; répétons-le, car il faut bien voir l’énormité de la chose — une superpuissance trébuche de façon monumentale devant cette épidémie et tous les défis qui l’accompagnent. Elle fait voir au monde, sous le slogan suprêmement faux de « Make America Great Again », l’étendue de ses faiblesses, l’accélération de sa décadence.

Le corollaire, c’est la montée agressive, conquérante, d’une Chine qui montre ses muscles et ne fait plus semblant, qui stérilise de force les femmes ouïghoures, impose le silence à un pays sur deux, quadrille sa société comme Orwell n’aurait jamais pu l’imaginer. Et qui, en écrasant Hong Kong, adresse — selon un ministre taïwanais, mardi dernier — « une menaçante injonction au monde entier ».

Oui, l’année 2020 pourrait bien s’avérer « un grand cru de l’Histoire »… y compris dans sa dimension tragique.

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