When the National Holiday Falls on July 4

 

 

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Quand la fête nationale tombera un 4 juillet…

Malgré Donal Trump et le Covid-19, jamais la proximité culturelle et la similitude des émotions n’ont été aussi flagrantes entre la France et les Etats-Unis.

Les Etats-Unis célèbrent leur indépendance arrachée aux Anglais, le 4 juillet. Les Français commémorent la prise de la Bastille, le 14 juillet. Les premiers fêtent la répudiation d’une tutelle et le largué d’amarres avec l’Europe originelle. Les seconds applaudissent la fin du pouvoir de l’aristocratie, avec la tête de l’absolutisme bientôt brandie au bout d’une pique. Loin, très loin de ce XVIIIe siècle de passions brutes, les deux pays sacrifient toujours aujourd’hui aux mêmes rituels, preuve de stabilité ou de stagnation, comme on préfère. Face au drapeau étoilé, les Américains campent droits et fiers, main sur le cœur. Bravant la montée au mât de pavillon, les Français, et je suis l’un d’eux, ont toujours la goguenardise qui frise, l’œil qui s’irise de jobardise et la moue ramenarde de ceux auxquels on ne la fait pas. Après les attentats de 2015, l’étendard tricolore a retrouvé quelques faveurs. Mais vite, il n’est plus ressorti de sa boîte à souvenirs que pour des triomphes sportifs, et encore. Malgré ces différences d’attitudes, les deux univers se sont rapprochés plus que personne n’aurait pu l’imaginer. Longtemps chien et chat, ces nations paraissent avoir abjuré tout antagonisme, et leurs sociétés semblent en fusion culturelle et technologique, émotionnelle et visuelle. Il devient parfois difficile de les distinguer au point qu’on ne voit plus bien pourquoi il faudrait conserver deux dates anniversaires, le 4 et le 14.

Par la répulsion qu’il inspire en France, Donald Trump est l’arbre de l’«illiberté» qui cache la forêt des proximités. Il est loin le temps de la tentative de séduction menée par Emmanuel Macron, au matin de son premier 14 Juillet, avec défilé de soldats de plomb, petits plats dans les grands, dîner en couple à la tour Eiffel et surtout papouilles en ratatouille qui, par temps de Covid-19, tiendrait de la pornographie sanitaire. Le domaine menacé de Trump semble se cloîtrer derrière les murets qu’il élève contre des migrations qui passeront autrement, tandis que la France de Macron interdit la venue sur son sol des amis américains infectés par ce virus sans visa. Mais cet éloignement est circonstanciel et les manières d’être et de faire n’ont jamais été aussi imbriquées.

L’antiaméricanisme jetait souvent l’ancre sur un fond anticapitaliste truffé de gravats marxistes et jonché de blocs de béton ouvriéristes. La révolution numérique a bouleversé cette géologie idéologique. A Paris comme ailleurs, on n’envisage plus de snober les Gafa comme on boycottait Coca-Cola ou McDo. Le chamboulement des usages et des pratiques est tel que plus personne n’est capable de faire une topographie exacte des champs de force antagonistes. On sait juste que le centre introuvable de ce monde multipolaire pourrait se situer du côté de la Silicon Valley et être bientôt englouti par la faille de San Andreas. L’extraction de la valeur ajoutée est devenue ludique, et le management a l’intelligence de faire croire qu’il est aux petits soins pour les carrières de ses mandants, avant éjections accélérées. La recomposition est telle, et il faut tellement s’accrocher aux branches, que personne ne s’aperçoit que la richesse réputée volatile est de plus en plus monopolisée par quelques moguls. Ceux-ci portent désormais tee-shirts et baskets et finissent par spolier leurs héritiers pour expier leurs évasions fiscales. Cette rétrocession caritative étant une façon de reformater l’impôt selon les névroses des donateurs…

L’empire a l’emprise moelleuse et participative. L’hégémonie culturelle est d’autant mieux acceptée qu’elle varie ses déclinaisons. Netflix a démodé Hollywood car les séries adultes et complexes sont plus en phase que les blockbusters agressifs avec l’évolution des comportements et les angoisses sociétales. La standardisation des modes de vie et la sanctuarisation des différences sont les deux faces d’une même pièce, celle qui permet l’achat à moindre coût de l’exception gauloise. Par la séduction de la fiction, l’identitarisme américain fait main basse sur l’individualisme français. Nouvel opium des peuples très regardants, cette régalante mise en spectacle du vécu se paie d’une exportation des interdits et d’un transfert des censures. Et voilà pourquoi, ici aussi, on bannit Woody, on flétrit Polanski, et L’Oréal noircit sa blanchité en sombrant dans le ridicule.

L’amusant, c’est que les mêmes qui, au temps du PCF et du MLF, étaient vent debout contre la domination yankee sont aujourd’hui les fourriers de la «doxa americana». Universitaires et communautaristes, féministes et antiracistes se font les hérauts d’une plainte structurelle et les héros d’un récit transnational du malheur minoritaire. Au risque que Trump et ses émules hexagonaux qui ne sont pas forcément RN, qui peuvent applaudir Zemmour un jour et Castex le suivant, profitent de la grogne normative pour finir par rafler la mise et allumer les lampions du bal à leur lanterne.

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