American Disaster

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Il tombe évidemment sous le sens que la fermeture de la frontière canado-américaine à la circulation non essentielle soit prolongée. Suivant un nouvel accord de principe dont ont convenu Ottawa et Washington cette semaine, elle le sera donc jusqu’au 21 août. À voir la confusion dans laquelle s’enfoncent les États-Unis face à la pandémie, on peut déjà scénariser que la rouvrir à la fin du mois d’août posera encore problème. Le sauve-qui-peut des ressortissants canadiens qui rentrent des États-Unis — leur nombre a augmenté de 50 % au fil de la crise — témoigne bien de cette confusion dans laquelle notre voisin malade n’arrive pas à mettre de l’ordre.

Les débats qui agitent les Américains sont aussi les nôtres, comme ils sont ceux d’une grande partie de la planète — confinement / déconfinement, masques, dépistage, distanciation physique, retour des enfants à l’école, hôpitaux qui débordent —, mais ils sont aux États-Unis aiguisés par des déchirements partisans qui n’empoisonnent que depuis trop longtemps la vie politique et par un président qui n’accepte pas qu’un virus puisse ainsi paralyser la plus puissante économie du monde — et compromettre sa réélection. Il n’entre pas dans la caboche de cet homme, tout à cet horrible travers qui consiste à jeter partout et tout le temps de l’huile sur le feu, qu’éteindre le virus et relancer l’activité économique sont deux objectifs complémentaires et non pas contradictoires.

Avec le résultat que, loin d’avoir disparu « comme par miracle » au printemps, ainsi que l’avait prédit M. Trump en février, l’infection progresse à l’heure actuelle dans 41 États. Elle est le plus virulente en Floride, au Texas, en Arizona et en Californie. De peur de vivre une nouvelle catastrophe, l’État de New York tente d’encadrer rigoureusement la circulation interétatique, si tant est que ce soit possible. Et si des gouverneurs, pressés de rouvrir les commerces, semblaient cette semaine prendre la mesure de la résurgence de la menace, ils le font en ordre dispersé, sinon en traînant les pieds. La pandémie est aggravée ici et là par des disputes sur la marche à suivre entre paliers de gouvernement, comme en Géorgie où le gouverneur républicain de l’État est à couteaux tirés avec la mairesse démocrate d’Atlanta.

Le contexte en devient un de politisation générale de la crise, où les bars et les masques sont autant des enjeux de santé publique que de guerres partisanes et culturelles.

Pour toute réaction à l’évidence que les États-Unis sont statistiquement les plus affectés au monde (140 000 morts à ce jour) et qu’ils ne s’en sortiront pas de sitôt, M. Trump a tour à tour tenté de discréditer le Dr Anthony Fauci, son très écouté et très inquiet expert ès pandémies ; et suggéré de ralentir le dépistage suivant la logique implacable voulant que moins il y aura de dépistage, moins il y aura de cas…

Plus grave est le fait que Donald Trump ait décidé mercredi de modifier unilatéralement la Loi nationale sur l’environnement, vieille de 50 ans, de manière à accélérer l’approbation des projets fédéraux d’infrastructure (autoroutes, centrales électriques, pipelines, etc.) en limitant les délais et les conditions d’examen public. Beaucoup y voient la mesure de déréglementation la plus lourde de conséquences jamais adoptée sous le gouvernement Trump, lui qui ne s’est pourtant pas gêné depuis trois ans et demi pour défaire les lois et règlements antipollution.

Il ne viendra évidemment jamais à l’esprit de ce climatonégationniste que cette décision représente pour l’avenir de l’humanité une erreur monumentale. À savoir qu’en l’occurrence, notre vulnérabilité croissante aux pandémies a des causes écologiques profondes et bien documentées, liées directement à la destruction de nos habitats par déforestation, urbanisation, industrialisation… Vrai qu’il n’est pas le seul, loin de là, à faire l’impasse sur cette nécessaire réflexion sur le rapport de l’humain à la nature — comme, par extension, on fait l’impasse sur la critique d’un pouvoir médical dominant qui, ayant les défauts de ses qualités, a tendance à réparer les dégâts plus qu’il ne prévient et responsabilise. Le problème de surconsommation dans nos sociétés en est aussi un de médicaments. Il est en effet « un peu prétentieux de dire qu’un vaccin est la solution à la crise actuelle », comme l’a si bien dit le biologiste et humoriste Boucar Diouf dans une entrevue au Devoir.

Étonnant quand même que la démission de M. Trump ne soit pas réclamée avec plus d’insistance. Drôle de démocratie, que l’américaine. Les électeurs qui l’endurent en jugeront dans les urnes en novembre, si tant est qu’ils aillent voter, dans le respect des institutions et de la fonction. Des urnes dont ce président si irrespectueux de l’État de droit pourrait pourtant décider, dans la défaite, de ne pas accepter les résultats.

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