Trump’s Illiberal Democracy in the COVID-19 Era

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La démocratie illibérale de Trump à l’ère du coronavirus

Chronique / Une démocratie est considérée comme étant libérale lorsqu’elle dispose d’une presse libre, qu’elle accorde une véritable liberté personnelle à ses citoyens, que ses institutions nationales et étatiques sont fonctionnelles, que le régime repose sur un État de droit et n’est pas soumis à des règles arbitraires, et finalement qu’elle possède une opposition politique dynamique et viable.

Depuis 250 ans, les États-Unis furent une force de libération démocratique en Occident et dans le monde. À bien des égards, ils ont servi de modèle à la mise en place des démocraties libérales. Toutefois, beaucoup de politologues américains s’interrogent à savoir si leur pays ne serait pas en train de glisser vers une démocratie non libérale, comme cela se passe dans plusieurs autres pays dans le monde.

Sous la gouvernance de Donald Trump, les signes extérieurs et les processus formels de la démocratie sont remis en question quotidiennement aux États-Unis, de la même manière que des régimes autocratiques se sont installés peu à peu en Russie, en Turquie, en Hongrie ou en Pologne. Ces régimes sont des démocraties sur papier, mais ils ne sont plus vraiment des régimes libéraux.

Or, avec la crise du coronavirus, ce phénomène s’est accentué. Cette crise marque l’émergence d’un monde post-américain marqué par un échec d’une approche basée sur une démocratie libérale. Partout, les démocraties ont adopté des mesures défensives marquées par un repli sur soi et un accroissement du pouvoir des gouvernements.

Une particularité des démocraties illibérales est de fonctionner sur une base d’un autoritarisme majoritaire, en faisant fi des droits des minorités. Mais aux États-Unis, le problème est que le parti républicain est incapable d’obtenir la majorité des votes. Il est devenu essentiellement un parti minoritaire. En dépit de cela, il continue de contrôler le système politique américain.

En effet, les républicains contrôlent le Sénat en dépit du fait qu’ils eurent en 2016 15 millions de voix de moins que les démocrates. De même, le gerrymandering leur permet d’obtenir la majorité des représentants dans des États balanciers comme la Pennsylvanie, le Michigan, la Caroline du Nord ou la Virginie, alors que dans chacun de ses États les démocrates obtinrent de 5 à 10 % de plus de voix.

Pour les républicains, réduire la participation aux élections est devenu un objectif primordial. Comme il y a beaucoup plus de démocrates que de républicains, il faut trouver des façons de limiter la participation électorale de ceux-ci. Par exemple, les républicains cherchent non seulement à limiter le vote par anticipation, mais aussi celui par correspondance, via internet ou par la poste.

Ainsi, en mars dernier, alors que le coronavirus se propageait à un rythme accéléré au Wisconsin, les républicains sont allés devant la Cour suprême de l’État composé largement de républicains pour bloquer une loi permettant aux électeurs de voter par la poste. Entre-temps, le président Trump cherche à mettre fin au vote par la poste dans une série d’États, processus qui existe pourtant depuis des décennies, sous le fallacieux prétexte qu’il y aurait de la fraude.

Pour les dirigeants illibéraux, le coronavirus fournit une occasion spéciale pour adopter des mesures qui affaiblissent le système de contrôle et de surveillance dans leur pays. Ainsi, en pleine pandémie, le président Trump destitua quatre inspecteurs généraux, parce que ces derniers ont commis l’erreur de dire des vérités gênantes sur son administration. Il désigna à leur place des copains sur une base temporaire.

Face à l’absence du leadership américain, des pays comme la Chine et la Russie ont profité de cette récession démocratique pour tenter de remodeler le système international à leur avantage tout en sapant la confiance des populations partout dans le monde concernant les institutions démocratiques. Or, ils ont effectué ce remodelage de l’ordre international sous l’œil bienveillant de Trump qui ressent plus d’affinité avec les dirigeants russes ou chinois qu’avec les dirigeants des démocraties libérales.

Au plan géostratégique américain, l’Amérique illibérale de Trump est le pire des deux mondes. Tout en maintenant des politiques militaires cherchant à assurer l’hégémonie américaine, il montre un mépris du droit international et abroge sans vergogne les engagements conclus par ses prédécesseurs. Cette attitude crée à la fois du ressentiment et de la méfiance chez les alliés traditionnels américains.

La crise du coronavirus se trouve ainsi à mettre à l’épreuve la résilience des institutions démocratiques aux États-Unis et partout dans le monde. Le message clair envoyé par l’administration au monde consiste à affirmer que les démocraties sont incapables de relever les plus grands défis à venir du 21e siècle. C’était la perception similaire qui prévalait au début des années 1920 lors de la montée du fascisme.

Pire encore dans la présente crise, les États-Unis sont devenus non seulement l’épicentre de la pandémie, mais aussi la principale source d’informations trompeuses. Le président Trump soutient constamment des hypothèses fausses ou irresponsables, rejetant l’avis des plus grands experts scientifiques et médicaux sur le sujet.

La gérance personnelle de la pandémie par Trump reflète tragiquement un effondrement sociétal que ce dernier se montre si habile à exploiter. Ce faisant, il insulte la presse, attaque l’indépendance des juges, bafoue la constitution, incite davantage la division raciale, exploite la xénophobie et ment sans vergogne. Vaincu par le coronavirus à cause de son incompétence, Trump draine la société américaine dans une pente dangereuse.

Or, il est incapable d’accepter la défaite prévisible en novembre prochain. Si Joe Biden l’emporte, ce qui est loin d’être assuré, car Trump étant passé maître en tricherie, il sera confronté à un monde où le leadership américain aura disparu. Le grand legs de Trump aura été de donner carte blanche aux autocrates. Pire encore, la démocratie libérale américaine est déjà très amochée par la gérance de son président mégalomane.

Gilles Vandal est professeur émérite à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke.

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