Opinion | Envolée du Covid-19 aux Etats-Unis : Trump seul responsable
Maxime Chervaux explique pourquoi Donald Trump – et non le système institutionnel américain – est à blâmer pour la mauvaise gestion de la crise engendrée par la Covid-19.
Le système institutionnel américain est complexe pour deux raisons. Il est né du besoin d’assurer un équilibre des pouvoirs dans d’anciennes colonies britanniques aux cultures politiques très différentes : il fallait équilibrer les différents niveaux du fédéralisme américain (local et surtout entre les États et le gouvernement fédéral) ainsi que les différentes branches du pouvoir politique à chaque niveau (législatif, exécutif, judiciaire) pour respecter la “séparation des pouvoirs” théorisée, entre autres, par John Locke. Il était alors impératif d’éviter que l’une des branches, ou l’un des niveaux, ne prenne le pas sur les autres.
Ces mêmes institutions se sont étoffées à mesure que l’État américain a pris en charge un nombre croissant de problèmes économiques puis sociétaux. Le New Deal a été particulièrement prolifique et a doté l’État fédéral d’une liste alphabétique d’agences administratives dont beaucoup perdurent sous une forme ou une autre.
Pour ces deux raisons, on peut réellement parler d’un “système” institutionnel, même si des voix plus critiques, telles que celle du journaliste Nicolas Rauline, parlent d’un “mille-feuille administratif” ou d’un système politique face à “une impasse” . Mais si l’État américain semble atteindre ses limites face à la crise du Covid-19, ce système vieux de 230 ans – même s’il a profondément changé en pratique depuis – aurait très bien pu éviter cette débâcle.
Un système qui a évolué
La réponse politique et administrative au Covid-19 souffre en effet de l’inconsistance de la Maison-Blanche. Depuis le début du XXe siècle, le président des États-Unis a obtenu un mandat incontesté en temps de crise. S’appuyant sur son rôle constitutionnel de commandant en chef des armées, puis sur une administration musclée par le Congrès au fil des crises économiques et sociales (Grande dépression, mouvements sociaux des années 60, chocs pétroliers, crise financière de 2009) ou militaires et sécuritaires (première et seconde Guerres mondiales, Guerre froide, 11 septembre 2001), le président est aujourd’hui universellement perçu comme le principal responsable institutionnel et politique pendant une crise.
Il en a les moyens et sa position permet d’éviter la longueur et la complexité d’une réponse purement législative, et l’incohérence et l’inconsistance d’une réponse différente dans chaque État et ville du pays. Les institutions américaines se sont ainsi peu à peu remodelées autour d’un président fort qui utilise sa position centrale, ses pouvoirs et sa visibilité pour diriger les États-Unis en temps de crise.
Une gestion étatique catastrophique
La gestion de la crise par l’administration Trump a été désastreuse. La présidence a été construite sur une remise en question brutale de la légitimité de l’administration américaine. Alors même que Trump a en main tous les outils nécessaires pour nationaliser la gestion de la crise et, par exemple, assurer la gestion des stocks de masques, de matériel médical, imposer le port du masque et même décider d’un confinement généralisé ou partiel dans le pays, il a tout simplement refusé de prendre de telles mesures.
Au contraire, il a remis en question le rôle de l’État dans la crise et même l’existence de tels pouvoirs présidentiels (alors même qu’ils ont été utilisés par ses prédécesseurs). Il s’est engagé dans une politique de déconstruction de l’État administratif américain , et une proactivité face au Covid-19 remettrait en question le bien-fondé de quatre années au pouvoir et l’un de ses principaux arguments électoraux.
Des enjeux politiques
La présidence actuelle signe l’apogée d’une politique hyper-partisane au plus haut niveau. Toute question de politique publique devient un enjeu politique et un argument électoral. La pandémie est ainsi une manière de se différencier du Parti démocrate durant une campagne électorale devenue permanente (Trump a lancé la campagne de sa réélection lors d’un meeting en février 2017, quelques semaines après le début de son mandat).
Pour cette raison, douter de la réalité du Covid-19, comme il l’a fait à de nombreuses reprises, puis remettre en question les chiffres de la pandémie – il minimisait encore sa dureté dans un entretien musclé avec Chris Wallace sur Fox News le 19 juillet – est une manière de jouer sur l’anti-étatisme d’une partie de sa base électorale et de se démarquer des démocrates et de certains républicains ouvertement critiques du président, tels que le gouverneur Larry Hogan (Maryland) ou le sénateur Mitt Romney (Utah).
Des positions peu claires
On comprend mieux cette situation parfois surréaliste d’un président qui change constamment d’avis sur le Covid-19 depuis février, alternant des moments forts où il donne l’impression de prendre les choses en main, cherchant même à débaucher des entreprises pharmaceutiques étrangères dans la course au vaccin, puis d’autres où il refuse tout simplement de venir en aide aux États, les mets en concurrence dans l’achat de matériel médical, et refuse parfois de reconnaître l’existence d’une pandémie et de porter un masque. Récemment, il a tout simplement cherché à faire porter le chapeau à la Chine.
Ici, le président peut compter sur une frange du Parti républicain, notamment dans le Sud, qui refuse tout bonnement de se voir imposer une conduite par l’État. La chaîne PBS montrait par exemple ce Texan qui refusait de porter un masque parce qu’il était bien certain de s’être ” levé dans un pays libre” le matin même. Il nourrit également sa rhétorique des théories du complot qui pullulent jusque dans son fil Twitter et qui sont régulièrement reprises par ses proches et par lui-même.
Ainsi, le problème n’est pas institutionnel. Si le président avait adopté une attitude claire sur la question et avait utilisé toute la force de l’État fédéral face à la pandémie, nous ne serions pas témoins de ce jeu d’affrontements permanents entre les élus , entre les élus et les juges , et même entre les élus et les forces de l’ordre . L’histoire politique américaine montre que les juges évitent d’intervenir contre le président dans de tels moments et que les États se rangent généralement derrière lui, du moins jusqu’à la fin de la crise.
Le problème est bien humain : Donald Trump a refusé d’intervenir et, dans un espace politique où tout est questionnable, même un virus, le système institutionnel et politique essaye tant bien que mal de réapprendre à agir sans – et même contre – une présidence devenue impériale et indispensable au fil des crises précédentes.
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