Le 4 avril 2017, soit quelques mois seulement après son investiture à la présidence, Donald Trump accueille sa famille entière à la Maison-Blanche pour célébrer le 80e anniversaire de sa sœur Maryanne et le 75e de son autre sœur, Elizabeth.
Dans le bureau Ovale, le 45e président montre du doigt une photographie en noir et blanc de son père posée sur une table.
« Maryanne, n’est-ce pas une belle photo de papa ? lance-t-il à l’aînée de la famille.
— Tu devrais aussi avoir une photo de maman, lui répond Maryanne, juge fédérale à la retraite.
— C’est une excellente idée ! », s’exclame son frère, comme si l’idée ne lui avait jamais effleuré l’esprit.
Et Donald d’ajouter : « Qu’on m’apporte une photo de maman. »
Mary Trump, fille du frère défunt de Donald Trump, Freddy, raconte cette anecdote dans le prologue de Too Much and Never Enough, son livre sur la famille qui a « créé l’homme le plus dangereux du monde », dont 950 000 exemplaires ont été vendus mardi, jour de son lancement, un record de l’édition.
En une seule scène, la nièce du président présente une des clés pour comprendre son oncle. De santé fragile et de nature froide, la mère du président n’aura été qu’une présence spectrale pendant l’enfance de son fils. Selon sa petite-fille, qui a hérité de son prénom, Mary Trump « était physiquement et émotionnellement absente ». Ses cinq enfants « n’eurent essentiellement pas de mère ».
En revanche, Fred Trump, le père, était tout-puissant. Mais pas plus aimant que sa femme.
Une perspective unique
De nombreux journalistes – et au moins un ancien responsable de la Maison-Blanche – ont décrit dans des livres les carences intellectuelles, professionnelles ou morales de Donald Trump. Des psychologues et des biographes ont tenté d’établir un diagnostic à distance. Mais aucun d’entre eux n’aura joui de la perspective de Mary Trump, qui a participé aux fêtes familiales des Trump, recueilli des témoignages inédits et subi elle-même la cruauté et la cupidité du clan de Queens.
L’objectivité de Mary Trump n’est sans doute pas au-dessus de tout soupçon. Après la mort de leur grand-père en 1999, elle et son frère ont été privés de la part de l’empire familial dont aurait hérité leur père s’il avait survécu à son alcoolisme et à son mal de vivre. Dans son livre, elle rappelle l’explication offerte par sa grand-mère pour justifier la décision de les déshériter : « Sais-tu combien valait ton père quand il est mort ? Un gros zéro. »
Mais l’écriture de Mary Trump emprunte davantage à la tristesse qu’à la colère ou à la rancune. Surtout lorsqu’elle évoque la façon dont son grand-père a frustré l’ambition de son père de poursuivre une carrière de pilote de ligne plutôt que de se préparer à prendre sa relève à la tête de son entreprise immobilière.
Fred a détruit son fils aîné en dévalorisant et en dégradant chaque aspect de sa personnalité et de ses habiletés naturelles jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien que la culpabilité et un besoin désespéré de plaire à un homme qui ne lui trouvait aucune utilité.
Mary Trump, dans Too Much and Never Enough
Fred Trump Jr. s’est éteint à 42 ans en 1981.
Fils de « sociopathe »
Mary Trump révèle que Donald a lui-même participé à la destruction de Freddy en le dénigrant après son embauche par la Trans World Airlines à titre de pilote. Elle rappelle certaines phrases que son oncle avait l’habitude de lancer à son père : « Tu sais, ça rend papa malade que tu gâches ainsi ta vie… Il dit qu’il a honte de toi… Freddy, papa a raison : tu n’es guère mieux qu’un chauffeur de bus. »
L’auteure de Too Much and Never Enough décrit son grand-père comme un « sociopathe de haut niveau » qui a légué au président des traits connus aujourd’hui du monde entier, y compris une propension au narcissisme, à l’intimidation et à la mégalomanie. Traits qui n’ont pas été atténués durant son enfance et sa jeunesse par une mère aimante et attentionnée, selon elle.
« Fred a également détruit Donald, mais pas en l’étouffant comme il l’avait fait avec Freddy, écrit Mary Trump. Il a plutôt court-circuité la capacité de Donald de développer et de connaître l’éventail complet des émotions humaines. »
En limitant l’accès de Donald à ses émotions et en rendant plusieurs d’entre elles inacceptables, Fred a faussé la perception du monde de son fils et nui à sa capacité d’y vivre.
Mary Trump, dans Too Much and Never Enough
On ne peut pas accuser Mary Trump de jouer les psychologues amateurs. La nièce du président est titulaire d’un doctorat en psychologie clinique en plus d’une maîtrise en littérature anglaise.
Mais l’intérêt de son livre ne se limite pas au diagnostic qu’elle pose à propos de son oncle (« Je n’ai aucun problème à traiter Donald de narcissique – il remplit les neuf critères [du DSM-5] », écrit-elle tout en évoquant d’autres pathologies, dont le trouble de la personnalité antisociale).
La fin d’un mythe
L’ouvrage de Mary Trump dévoile notamment le rôle secret que l’auteure a joué en 2018 pour détruire une fois pour toutes le mythe selon lequel Donald Trump est un « self-made man ». Elle a fourni à des journalistes du New York Times des documents financiers montrant que Fred Trump avait fraudé le fisc pendant plusieurs décennies et créé au moins 295 sources de revenus différentes pour enrichir son fils, dont des prêts dépassant au moins 60 millions de dollars qui n’ont jamais été remboursés pour la plupart.
L’auteure de Too Much and Not Enough estime que Donald Trump a fini par croire à ce mythe construit sur des mensonges et des fraudes.
« Plus mon grand-père lançait d’argent à Donald, plus Donald avait confiance en lui, ce qui l’amenait à poursuivre des projets plus importants et plus risqués. Ceux-ci entraînaient des échecs plus importants encore, obligeant Fred à intervenir avec plus d’aide. En continuant à aider Donald, mon grand-père n’a fait qu’aggraver son cas : il avait toujours besoin de plus d’attention et d’argent, et il se faisait toujours plus d’illusions sur sa “grandeur” », écrit-elle.
Contrairement à sa tante Maryanne, la nièce de Donald Trump ne serait pas rassurée d’apprendre que la photo de sa grand-mère côtoie aujourd’hui celle de son grand-père dans le bureau Ovale. Car elle attribue à ses grands-parents un échec parental de dimension épique dont son pays ne se remettra pas si son oncle est réélu.
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