L’élection présidentielle de novembre 2020 s’annonce comme la fin de la domocratie établie par Donald J. Trump au sein de la Maison-Blanche. C’est dire l’importance qu’elle revêt, et l’enjeu qu’elle présente pour la démocratie étasunienne.
Par domocratie, il faut entendre un régime qui s’appuie sur le « domaine » ou la « demeure » (domus) privée, soit sur une conception tout à fait particulière, voire singulière, du pouvoir politique. Trump s’est en effet approprié le pouvoir exécutif de la présidence comme s’il devait lui revenir en propre, et devenir son privilège unique et exclusif — au lieu de considérer la présidence comme représentante des intérêts de tout le peuple étasunien.
Le rejet de la domocratie de Trump par la démocratie électorale, s’il se réalise le 3 novembre prochain, comme semblent le montrer présentement les sondages d’opinion publique, pourrait remédier à cette usurpation sans précédent du pouvoir exécutif aux États-Unis.
Iceberg
La manière d’établir une telle domocratie s’est vite installée dans l’institution présidentielle, avec la nomination par Trump de sa propre fille Ivanka comme conseillère spéciale, et de son gendre Jared Kushner comme haut conseiller du président, au lendemain de la prise de pouvoir. La ronde des congédiements subséquents au sein des diverses instances gouvernementales, guidée au-delà même de la partisanerie par la seule obligation de loyauté envers la présidence, n’est que la pointe de l’iceberg de cette domocratie voulue par Trump.
Le « domaine familial » de Trump étant bien établi, les intérêts de celui-ci ont été poursuivis avec avidité (les épisodes des visites de dignitaires au Trump Hotel de Washington, jusqu’à la tentative d’organiser le G7 à son club de golf National Doral à Miami, en montrant bien certains des plus criants).
Mais cette conception domocratique de la présidence Trump s’est surtout cristallisée par les attaques menées contre les autres pouvoirs politiques, législatif et judiciaire, mettant en péril l’équilibre du système de « checks and balances » établi par la Constitution, où les trois pouvoirs sont censés faire contrepoids l’un à l’autre (le Congrès faisant les lois, la présidence détenant un droit de veto à leur égard, la Cour suprême approuvant ou non leur constitutionnalité).
Tyrannie
Les attaques vis-à-vis du pouvoir législatif au Congrès se sont déployées surtout après que les élections de mi-mandat ont eu placé la Chambre des représentants aux mains des démocrates — et notamment bien sûr dans la foulée de l’enquête Muller sur l’ingérence russe dans les élections, ainsi que de la procédure de destitution (impeachment) entreprise (puis rejetée par le Sénat), et où toutes les possibilités de résistance à l’endroit des demandes d’information présentées à la Maison-Blanche ont été utilisées afin de préserver l’immunité présidentielle.
La complicité du Sénat dans ces démarches a compromis les républicains dans la défense d’un pouvoir présidentiel autocratique, où même les connivences partisanes n’ont pas pu masquer le visage univoque des tactiques avant tout soucieuses d’empêcher que les intérêts personnels de Trump (et notamment ses intérêts personnels d’affaires, ainsi que fiscaux) soient livrés aux vues du public.
Les attaques vis-à-vis du pouvoir judiciaire à l’égard de l’impartialité, qu’il se doit de revêtir au sein d’une société de droit, se sont concentrées, au-delà de plus de 200 nominations partisanes aux différentes instances juridiques des Cours fédérales et à la Cour suprême, dans la préservation des intérêts à l’égard des relations personnelles de Trump.
Le contournement des sentences, à la suite des condamnations de Roger Stone, et l’abandon des poursuites, dans le cas de Michael Flynn, avec la complicité récente du procureur William Barr à la direction du Département de la Justice, sont apparus comme des manières par lesquelles le caractère intouchable du pouvoir présidentiel pouvait s’étendre à des cercles rapprochés d’amis et d’alliés, guidé par la seule volonté personnelle de Trump et la loyauté à son égard — dans le plus pur style des tyrannies.
Triste spectacle
Les attaques incessantes à l’endroit des médias (le « quatrième pouvoir »), visant à discréditer toute information n’allant pas dans le sens direct de la protection des intérêts de Trump, ont porté un dur coup à cet appendice crucial du contre-pouvoir politique et de son rôle dans la formation de l’opinion publique.
Le régime de dénonciation des fake news (soit toute information qui ne serait pas légitimée ou autorisée par Trump lui-même, et qui ne serait pas à son avantage) a instauré une aura de trouble autour de ce qui peut apparaître comme information crédible, dûment élaborée par un travail journalistique indépendant et consciencieux.
Comme dans les plus viles dictatures du monde contemporain, l’intolérance à l’égard d’une information libre et critique ouvre la voie de façon délibérée au court-circuitage pur et simple de la vie démocratique — polarisant également de manière outrancière les débats et cristallisant les oppositions dans leurs positions les plus radicales, au lieu d’agir dans leur médiation. Le cumul de toutes ces attitudes, stratégies et tactiques, définit les caractéristiques principales de la domocratie de Trump.
Les électeurs étasuniens ont donc été fondamentalement trompés lors de la dernière élection de 2016 qui a porté Trump au pouvoir ; la démocratie censée remettre les États-Unis sur la voie de la « grandeur », selon le slogan gagnant de campagne, s’est graduellement révélée comme une pure domocratie taillée à la seule mesure d’une présidence occupée principalement à défendre bec et ongles ses privilèges particuliers.
Apparaît donc aujourd’hui un enjeu majeur pour l’élection présidentielle : domocratie de Trump contre démocratie électorale des États-Unis — dont Trump tente même par avance de miner la crédibilité en avançant qu’elle pourrait être pipée (rigged). C’est à ce triste spectacle, où comme chez Orwell les mots signifient désormais leur contraire, en raison de la rhétorique de Trump et de ses capacités débilitantes, que les citoyens étasuniens seront confrontés jusqu’à l’exercice électoral du mardi 3 novembre prochain, attendant de voir s’ils peuvent souscrire à l’idée, pour en finir avec la domocratie, du « Trumped once, not twice » (trompés une fois, mais pas deux).
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