Alexandria Ocasio-Cortez and Decency

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Alexandria Ocasio-Cortez et la décence

La représentante démocrate a choisi de répondre à l’agression verbale dans l’arène politique. Ne pas s’écraser, répliquer, et le faire dans la lumière. Il y a là une formidable leçon.

On cherche du sens, c’est clair. La pandémie, le confinement, le déconfinement, la crainte d’une deuxième vague, l’ébullition autour de la question raciale et de celle des agressions sexuelles… Tout ça nous bouleverse, vient nous chercher. Des douchebags qui polluent les plages de Gaspésie aux femmes qui dénoncent leurs harceleurs, des porteurs de masques aux complotistes paranoïaques, tous, nous cherchons du sens. Nos vies bien réglées, pour le meilleur ou pour le pire, se sont heurtées à un mur à la mi-mars. Depuis, nous explorons, nous hésitons, nous braillons parfois roulés en p’tite boule.

C’est pourquoi lorsqu’un événement incontestablement fort, inspirant et anticipateur d’un monde meilleur survient, nous sommes ébahis. C’est arrivé la semaine dernière. Cet événement dure 6 minutes 38 secondes, a été filmé et roule sur toutes les plateformes. La représentante démocrate du 14e district de New York à la Chambre des représentants, Alexandria Ocasio-Cortez, 30 ans, réplique posément et dignement, dans un discours exemplaire, à l’élu de la Floride Ted Yoho, 65 ans, qui l’avait traitée publiquement de « fucking bitch » sur les marches du Capitol.

Ocasio-Cortez, ouvertement socialiste et hors establishment politique, est l’étoile montante de la gauche américaine. Le documentaire de Netflix Knock Down the House, qui a suivi quatre aspirantes congressistes pendant les élections de 2018, montre bien sa personnalité droite, son empathie, son talent et ses valeurs. Devenue la plus jeune élue au Congrès, elle se distingue par son aplomb et ses idées. Mais ce qu’elle a fait la semaine dernière sort complètement de l’ordinaire et sera non seulement un moment fondateur de sa carrière politique et de son engagement, mais une pièce d’anthologie pour toutes les femmes insultées ou agressées par des hommes, peu importe leur statut. Au moment où des femmes dénoncent publiquement et anonymement des hommes harceleurs ou agresseurs, avec tous les dérapages que ça implique, cette prise de parole ferme et claire est remarquable.

Pourquoi ce discours nous touche-t-il tant ? D’abord, par sa forme. Alexandria Ocasio-Cortez a choisi de répondre à l’agression verbale dans l’arène politique. Pas en catimini ni à l’extérieur ; au « cœur » du pouvoir officiel. Symbole fort. Puis, tout au long de son discours, elle reste calme, posée. Même si on sent sa colère qui gronde, les émotions qui affleurent, jamais elle ne craque ni ne pleure. Elle n’est pas une victime. Elle tient solidement les rênes de son propos.

Ted Yoho, pour s’excuser, a dit qu’il était marié et père de deux filles. Ocasio-Cortez lui répond froidement : « Avoir une fille ne rend pas un homme convenable. Avoir une femme ne rend pas un homme convenable. Traiter les gens avec dignité et respect est ce qui rend un homme convenable. » Ces mots puissants sont ceux d’un être humain qui parle de dignité et de morale, ce qui fait cruellement défaut à la scène politique américaine. Et à la société en général, ces temps-ci.

Alexandria Ocasio-Cortez parle non seulement au nom des politiciennes, mais de toutes les femmes. En fait, de toutes les personnes bafouées. « Traitez les gens avec dignité et respect » : ce propos est révolutionnaire en cette époque de mensonges et d’amoralité. C’est un formidable enseignement en ces temps d’ensauvagement. Son discours, c’est 6 minutes 38 secondes qui donnent de l’allant, de l’espoir, du courage. Qui montrent que les mots, la riposte, l’utilisation des institutions peuvent « aussi » être subversifs et faire tomber des représentants qu’on croyait intouchables.

Répliquer. Ne pas s’écraser, et le faire dans la lumière. En pleine face. Il y a là une formidable leçon.

Nous cherchons avidement du sens dans nos vies et nos sociétés devenues si bizarres. Une jeune femme convaincue et blessée, mais forte, vient de nous fournir un vaccin contre le défaitisme. La première dose de dignité concentrée depuis longtemps.

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