We See Only Where We Look

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On ne voit que ce qu’on regarde

Il faut s’absenter pendant un temps pour reprendre conscience de ce qui nous entoure. Autrement, ce qui devrait nous surprendre ou nous choquer apparaît comme banal, normal. C’est vrai chez nous comme ici, aux États-Unis.

À preuve, mon retour à Montréal pour l’été : mes observations embarrassées sur les rats dans ma ruelle, les graffitis défigurant un édifice après l’autre et les travaux qui éventrent le centre-ville – oh, notre pauvre centre-ville ! – ont toutes été accueillies avec des haussements d’épaules. On se fait à tout, même au pire.

Revenir à Washington deux mois plus tard inspire de pareilles émotions. La déconnexion est déconcertante entre ce qu’on remarque tout autour – avec des yeux neufs – et ce qu’on entend.

Tout va pour le mieux

J’écoutais, par exemple, le vice-président Mike Pence à FOX News décrire le choix présenté aux Américains à l’élection présidentielle de novembre prochain : un choix, selon lui, entre « le bilan de liberté et d’opportunité de Donald Trump et un programme démocrate écrit par la gauche radicale et la vision de Joe Biden qui aboutiront au socialisme et au déclin de l’Amérique ».

Mike Pence, c’est évident, ne regarde pas autour de lui, lorsqu’il quitte la Maison-Blanche – chaque jour en début de soirée – avec la dizaine de véhicules qui forme son convoi. Le bilan de liberté et d’opportunité a été plombé par la pandémie.

Rien ne va plus

Habituellement, de jour tout au moins, Washington bouillonne d’activité. Pas l’animation anarchique de New York, mais la vivacité de gens qui ont des idées à défendre, des ententes à conclure, des contrats à passer. Une seule fois en 20 ans j’ai vécu autre chose : tout s’est arrêté au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Ça a duré quelques jours, puis c’est reparti.

J’ai passé la dernière semaine à la Maison-Blanche et autour. Le retour à la normale, oubliez-le : pas de touristes, mais aussi très peu de fonctionnaires. Les rues sont essentiellement vides, les bureaux comme plusieurs commerces ont été délaissés et j’ai dû finir à 20 h le verre que je suis allé prendre avec des collègues vendredi sur une rare terrasse ouverte, après que la serveuse fut venue nous dire que le bar fermait. 20 h, un vendredi d’été !

Ni vu ni connu

La « liberté et l’opportunité » que vante Mike Pence n’ont pas empêché que plus d’un million de nouveaux demandeurs d’aide au chômage se manifestent la semaine dernière. La pandémie a le dos large, mais il s’agit de regarder autour de soi : l’administration Trump n’a pas aidé pendant mes huit semaines d’absence.

Les démocrates ont mis fin à leur convention jeudi, en promettant mieux que le chaos actuel. Sans surprise, Donald Trump tire un autre constat : « Là où Joe Biden voit de la noirceur, je vois de la grandeur. »

Le portrait qu’il se fait des États-Unis dirigés par Joe Biden reflète « les ruines fumantes de Minneapolis, l’anarchie violente de Portland et les trottoirs tachés de sang de Chicago ». Ça, c’était jeudi en Pennsylvanie. Hier matin, il jouait au golf sur son propre terrain dans le nord de la Virginie. On en vient à développer, je vous jure, des troubles de vision.

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