Same Old Story

<--

Les problèmes issus de la violence policière et de la culture qui s’y rattache aux États-Unis persistent depuis des décennies. Lors de mes études au doctorat, de 1968 à 1971, à l’Université de Chicago, j’ai eu l’occasion de faire l’expérience de nombreux drames et incidents qui m’ont fait voir de l’intérieur l’ampleur de la situation.

Cette journée grise de décembre 1969 où Fred Hampton et Mark Clark, deux membres d’un chapitre des Black Panthers, ont été assassinés par le FBI durant leur sommeil, je me rendais au site de mon stage, à l’école Jacob Jungman, à quelques rues de l’assaut. Le quartier autour de l’école était étrangement désert. Treize ans plus tard, une cour civile conclura à un règlement de 1,8 million de dollars en faveur des familles des victimes de la police.

Le harcèlement agressif des forces de l’ordre était monnaie courante dans cette ville. Le cas le plus inusité est celui de ce frêle étudiant chilien, fraîchement arrivé de son pays, qui transportait dans une voiturette un appareil de télévision. En passant sous le pont du train de banlieue, neuf voitures de police le coincent contre un mur en se déployant en forme d’étoile. On peut imaginer l’expérience des habitants des quartiers avoisinants qui vivaient ce genre d’agression gratuite de façon plus intense encore.

Les racines du problème sont bien analysées. Il y a tout d’abord un vieux racisme qui n’a jamais disparu depuis la guerre de Sécession. Les quartiers afro-américains ont été affligés après 1960 par le déclin économique des industries qui les employaient. La consommation de drogue et la criminalité s’y sont installées, et cette dégradation a chassé les leaders de la classe moyenne.

La répression enclenchée a conduit à l’emprisonnement de millions d’hommes, beaucoup pour des gestes non violents ou de simples amendes impayées. En 2010, entre 4 % et 5 % des hommes afro-américains ont fait un séjour en prison. Et on assiste à ce paradoxe que l’État doit payer des dizaines de milliers de dollars chaque année pour chaque individu en prison.

Il n’est pas surprenant que l’industrie autour des fantasmes de la violence soit florissante dans les médias. Ces images nourrissent la peur, le sentiment de sa solitude et de sa vulnérabilité, et elles suggèrent l’acquisition d’armes comme solution. Et la méfiance ne concerne pas seulement les Afro-Américains, mais aussi bien ses voisins proches que les gauchistes socialistes.

Les politiciens, des maires jusqu’au président, sont responsables des situations qui engendrent la répression policière, car ils sont pris au piège du cercle vicieux de la criminalité et de la répression. On a au moins l’impression de faire le tri entre les bons et les mauvais.

À cette dichotomie se superpose la ségrégation géographique des pauvres et des riches, qui n’est d’ailleurs pas unique à l’Amérique. Le clivage concerne également les diplômés de l’éducation supérieure et les moins instruits, les régions côtières et leurs mégapoles ouvertes sur le monde et l’intérieur de la Rust Belt et des agriculteurs endettés dont l’horizon se referme sur leurs problèmes personnels.

La peur engendrée par les mouvements sociaux qui vont dans de multiples directions risque de produire encore plus de confusion dans les esprits et de faire enfoncer encore plus les gens dans leur angoisse apocalyptique autour de laquelle s’édifient de nombreux discours de la religion évangélique. D’où la fuite dans des théories fantaisistes qui confortent les préjugés et anéantissent le sens critique.

La transformation du marché de l’emploi à cause de la mondialisation a anéanti une grande partie de la classe moyenne ouvrière aux États-Unis et a fait place à un désespoir généralisé au sein de cette population, à une grande insécurité par rapport à l’avenir et à une paranoïa bien ancrée.

Être réaliste dans les circonstances commande d’être pessimiste. Le seul espoir est que les crises soient suffisamment dramatiques pour amener les gens à réfléchir sur les véritables sources des problèmes. On se rapproche rapidement de ce point critique avec la montée des mouvements sociaux qui précèdent l’élection présidentielle du 3 novembre.

Devant les catastrophes issues des transformations très rapides de la désindustrialisation, la science peut aussi être perçue comme une arme d’oppression en favorisant la haute technologie dont les pauvres sont exclus et qui remplace les emplois par des machines. Malheureusement, la campagne électorale ne facilite pas le dialogue entre les parties et l’avancement de solutions partagées.

About this publication