A Democracy’s Shipwreck

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Longtemps une référence pour le reste du monde, à la fin des années 1940 en Europe, dans les années 1950 en Asie et jusque dans les années 1980 face à l’URSS, la démocratie états-unienne bat gravement de l’aile en cette troisième décennie du XXIe siècle.

Aujourd’hui, d’un peu partout, on regarde les États-Unis et leur crise de régime avec dégoût, commisération, incrédulité… ou encore — si on adopte le point de vue de Pékin ou de Moscou — avec une joie mauvaise et l’espoir que ça continuera.

L’incroyable présidence Trump, avec ses coups de boutoir incessants contre les normes démocratiques, et les lourds nuages sur l’élection présidentielle de novembre ne sont que deux aspects d’une maladie qui s’aggrave depuis des années, voire des décennies.

Car la décadence de la démocratie américaine a commencé bien avant « l’accident électoral » de novembre 2016.

Malgré la fréquence et la gravité des transgressions trumpiennes, malgré la possibilité réelle d’une grave dysfonction électorale dans sept semaines, on aurait tort de croire qu’une défaite — même nette — de Donald Trump le 3 novembre pourrait éloigner un spectre qui n’aurait été qu’une « mauvaise passe »…

Point du tout ! La maladie est plus profonde que cela. À sa manière, Donald Trump aura été un révélateur, tout autant qu’un aggravateur de cette crise de régime, de cette décadence de la modernité tardive dont les États-Unis de 2020 forment l’avant-garde.

Voilà un pays où, depuis vingt ans, les antagonismes politiques se sont cristallisés au point qu’une moitié du pays hait l’autre, ne lui parle plus, ne la comprend même pas, voire nie son droit d’exister.

Un pays où le Sénat et la Chambre des représentants combinés ne peuvent pratiquement plus rien voter, pour cause de blocage permanent. Un pays où la division des pouvoirs s’effrite, où la Cour suprême rend de plus en plus ses décisions en fonction de lignes partisanes.

Un pays dont le processus électif, multipliant les aberrations au fil des cycles électoraux, est devenu une sinistre farce. Où il a fallu, en 2018, presque 9 points d’avance au Parti démocrate pour arracher une victoire en sièges à la Chambre des représentants ; et où, le 3 novembre prochain, Joe Biden aura besoin d’une marge supérieure à 5 ou 6 points pour gagner le Collège électoral. Un pays en proie aux attaques informatiques efficaces de puissances hostiles.

Un pays où les campus universitaires sont des camps retranchés, où lesdites « humanités », loin de la science et du libre débat, sont devenues militantes, où celui qui pense différemment est un ennemi à faire taire, voire à abattre professionnellement.

Depuis quatre ans, ça ne s’est pas arrangé…

Juste en 2020, pas moins de 50 chauffeurs enragés se sont précipités sur des manifestants pacifiques, un peu partout aux États-Unis. Des militants armés ont forcé la fermeture d’une Assemblée législative (au Michigan). Des agents des forces de l’ordre non identifiés ont poussé des manifestants dans des fourgons banalisés. Des extrémistes de gauche et de droite ont été accusés d’avoir tué des opposants politiques.

Pendant ce temps, un président en exercice dénigre activement la légitimité du système électoral, non pas pour le réformer, mais pour répéter à des partisans chauffés à blanc que toute victoire de l’ennemi « ne saurait être qu’une fraude à grande échelle ».

L’un de ses proches conseillers les plus véreux, Roger Stone, amnistié après avoir été condamné pour faux témoignages répétés dans l’enquête sur la Russie, vient de déclarer publiquement que Trump, en cas de victoire électorale de l’ennemi, devrait décréter l’état d’urgence et faire emprisonner des personnalités comme Bill et Hillary Clinton.

Il est encore possible que Donald Trump se voie réduit, dans les prochaines semaines, à son noyau dur de 40 %, et qu’une mobilisation exceptionnelle de l’autre camp lui inflige une défaite retentissante, nette et irréfutable dès le 3 novembre au soir.

Mais même un tel événement (quasi miraculeux) pourrait ne s’avérer qu’un épisode supplémentaire vers une nouvelle guerre civile, dans un pays qui n’a jamais vraiment réglé la précédente.

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