Will Mail-In Voting Drive American Democracy to the Edge of a Cliff?

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Le vote par correspondance conduira-t-il la démocratie américaine au bord du précipice ?

À moins d’une victoire claire de l’un ou l’autre candidat, les prochaines élections risquent d’entamer fortement la légitimité du prochain président.

À un peu moins de deux mois de l’élection présidentielle américaine, la question n’est pas simplement de savoir qui va remporter la victoire, mais comment. Au cœur de cette préoccupation se trouve, bien sûr, le vote postal. Attaqué obstinément par le président Trump comme étant un outil de fraude électorale sans précédent, défendu bec et ongles par les démocrates qui y voient une solution miracle pour se prévaloir du droit de vote à l’ère de la COVID-19, le vote par correspondance est vite devenu une nouvelle ligne de démarcation identitaire aux États-Unis.

Comme c’est le cas pour le port du masque, l’intention de voter par la poste correspond aussi à vos préférences partisanes. Si vous avez l’intention de vous prévaloir de ce droit, alors vous êtes bien plus susceptible d’appuyer Joe Biden que Donald Trump.

Et là réside le problème : comme on prévoit que le vote postal sera beaucoup plus démocrate que républicain, il y a un intérêt fondamental pour un parti à l’encourager et pour l’autre à le décourager. Ce qui renforce la dynamique partisane du vote postal.

Cela débouche sur deux avenues potentiellement problématiques, voire dangereuses.

La première et la plus évidente, déjà largement discutée, est que, puisque le vote tenu en personne sera compté avant le vote postal, Donald Trump pourrait disposer d’une avance le soir du 3 novembre qui s’effriterait au cours des jours suivants. Voyant son avance fondre petit à petit — un phénomène déjà surnommé « blue shift » —, le président crierait victoire prématurément et qualifierait la remontée de Biden de frauduleuse.

La deuxième, beaucoup moins discutée et comprise, verrait Donald Trump s’accrocher à son avance et être réélu, notamment parce qu’une bonne partie des bulletins de vote reçus par la poste seraient déclarés invalides, que ce soit parce qu’ils sont arrivés en retard, qu’ils ne sont pas adéquatement signés, ou pour toute autre irrégularité.

À titre d’exemple, les primaires présidentielles cette année, marquées par une hausse vertigineuse du vote postal, ont vu plus d’un demi-million de bulletins de vote être rejetés — une hausse de plus de 70 % par rapport à l’élection générale de 2016… pour laquelle le taux de participation était environ « trois fois plus élevé ».

Dans certaines régions, le taux de votes postaux finalement rejetés était à couper le souffle — comme dans le comté de Kings à New York (qui inclut Brooklyn), où près du « quart » de ces votes ont été écartés lors des primaires de juin dernier. Il était question de plus de 80 000 votes. Pour mettre ce nombre en perspective, c’est plus de votes qu’il n’en a fallu à Donald Trump en 2016 pour triompher dans les trois États — la Pennsylvanie, le Wisconsin et le Michigan — ayant fait basculer le collège électoral en sa faveur.

Imaginons un scénario dans lequel Trump s’accroche à la présidence après le rejet de plusieurs centaines de milliers de votes envoyés par la poste, et alors qu’il a publiquement discrédité le vote postal pendant des mois. Les cris dénonçant la fraude électorale cesseront-ils… ou seront-ils plutôt poussés par les démocrates à leur tour ?

Démocratiquement, ni l’une ni l’autre de ces avenues ne serait particulièrement grave à la base si des proportions comparables d’électeurs démocrates et républicains prévoyaient de voter en personne et par la poste. Le nombre de votes comptés ou rejetés dans un camp ou dans l’autre ne serait alors pas automatiquement perçu comme conférant de facto un avantage indu à l’un ou l’autre des partis.

Or, toute décision tranchant d’un côté ou de l’autre risque d’être perçue par le côté « perdant » comme partisane, voire carrément injuste. Plusieurs États devront par exemple statuer d’ici novembre au sujet des poursuites judiciaires visant à déterminer si les bulletins de vote postés avant le 3 novembre mais « reçus » par les autorités électorales après le 3 novembre devraient être comptés. Comment le parti désavantagé verra-t-il le résultat électoral si le verdict est serré ? Comment l’acceptera-t-il ?

Rien de tout cela ne suggère que les États-Unis vont basculer dans l’autoritarisme ou la guerre civile. Même s’il crie à la fraude à s’en époumoner en cas de défaite, Donald Trump quittera la Maison-Blanche le 20 janvier prochain, et ses pouvoirs constitutionnels seront d’ici là réduits à néant. Que l’opposition démocrate en fasse de même en cas de réélection de Trump, ce dernier ne se transformera pas en monarque pour autant — il quittera simplement la Maison-Blanche quatre ans plus tard (au maximum).

Cela ne revient pas à dire qu’il est souhaitable de passer des semaines, voire des mois dans des litiges électoraux à côté desquels le fiasco de la Floride en 2000 aurait des allures d’anecdote — pas plus que quatre années subséquentes pendant lesquelles la légitimité même du président serait rejetée par des dizaines de millions d’Américains.

Les États-Unis vivent la pire crise sanitaire en 60 ans, la pire crise économique en 90 ans, et la pire crise sociale en 50 ans, et ils n’ont certainement pas besoin en plus de traverser une crise démocratique totalement inédite.

Peu importe le résultat, espérons d’abord et avant tout une chose : qu’il soit sans équivoque.

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