Mort de la juge Ginsburg
L’avortement au cœur de la présidentielle
Dans les jours qui ont précédé sa mort, la juge Ruth Bader Ginsburg a confié à ses proches son souhait le plus cher : celui de ne pas être remplacée avant l’élection du 3 novembre. Mais Donald Trump n’a pas attendu 24 heures après son décès pour annoncer qu’il ferait le choix d’un successeur dès cette semaine.
Deux des 53 sénateurs républicains ont annoncé qu’ils refuseraient d’avaliser ce choix avant la présidentielle. Il en faudrait deux de plus pour repousser la procédure au-delà de l’horizon électoral.
Ce n’est pas impossible. Mais c’est loin d’être gagné.
En attendant, la mort de cette juge progressiste de la Cour suprême des États-Unis vient brouiller les cartes électorales. Entre autres en propulsant le débat sur l’avortement au cœur de la campagne présidentielle.
Ce sujet qui a la particularité de galvaniser les électeurs, autant à droite qu’à gauche, avait été éclipsé par les tensions raciales et la pandémie de COVID-19. La possibilité de donner le siège de la juge Ginsburg à une militante anti-choix comme Amy Coney Barrett (l’une des favorites de Donald Trump) le replace au centre du débat.
La Cour suprême a freiné à plusieurs reprises, ces dernières années, l’enthousiasme du mouvement anti-avortement.
Il y a quatre ans, elle a dû se prononcer sur une loi du Texas obligeant les cliniques d’avortement à être affiliées avec un hôpital situé à moins de 50 km – une de ces initiatives qui prétendent protéger les femmes alors qu’il s’agit d’une façon détournée de restreindre l’accès à l’avortement.
Dans sa décision écrite, Ruth Bader Ginsburg a critiqué avec virulence la loi texane, qui a été invalidée par la Cour suprême.
En février 2019, la Cour suprême a été saisie d’une cause semblable concernant la Louisiane. Malgré la présence de deux nouveaux juges conservateurs sur le banc du tribunal, celui-ci a rejeté la loi par cinq voix contre quatre.
Supposons que Donald Trump nomme Amy Coney Barrett pour remplacer la juge Ginsburg. La prochaine fois qu’une loi semblable tombera sur la table de la Cour suprême, celle-ci penchera probablement en sens inverse.
Ces exemples ne sont pas anecdotiques. Ils sont typiques de la manière dont le mouvement anti-avortement s’y prend pour avancer ses pions. En une décennie, il a réussi à faire passer quelque 400 restrictions, adoptées par différents États, au droit d’interrompre une grossesse. Son but ultime : renverser la décision Roe c. Wade qui établit le droit des femmes à décider ce qu’elles font de leur grossesse.
Donald Trump courtise ce lobby. Il a même participé à une manifestation « pro-vie » – du jamais-vu pour un président américain ! La mort de la juge Ginsburg lui donne l’occasion de gagner d’autres points dans cet électorat.
Politiquement, les retombées de cette « surprise de septembre » sont impossibles à estimer. Elle va mobiliser les militants anti-avortement. Mais les forces progressistes seront aussi à pied d’œuvre. Bien malin celui qui peut prévoir à qui profitera leur confrontation.
En attendant, la mort de cette juriste de haut vol place les sénateurs républicains devant un choix moral. Vont-ils respecter son « testament » et reporter l’approbation du prochain juge ? Ou succomber, par calcul politique, à la tentation de ce qu’un chroniqueur du Washington Post a décrit comme un « coup de force » judiciaire ?
Et surtout, la disparition de la juge Ginsburg place aussi les États-Unis dans une situation d’une cruelle ironie : en mourant, cette juge qui a souvent défendu les droits des femmes, et pas seulement sur la question de l’avortement, a ouvert la porte à une régression majeure de leurs libertés.
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