Après les quatre années du mandat dévastateur de Donald Trump, au bout des mois d’une campagne électorale avilissante, le 46e président des Etats-Unis aura la lourde tâche de donner au soulagement ressenti aujourd’hui la forme d’un espoir.
L’année 2020 a été trop avare en bonnes nouvelles pour que l’on puisse se permettre de relativiser celle-ci : le candidat démocrate Joe Biden a battu le président sortant, Donald Trump, à l’issue, décalée, de l’élection présidentielle des Etats-Unis d’Amérique. Une fois les recomptes de voix effectués, une fois les recours de son rival purgés – ce sera long et pénible – il s’installera, le 20 janvier, à la Maison Blanche, avec une légitimité non seulement assise sur les voix du collège électoral, mais également sur le vote populaire. De fait, grâce à un bond historique de la participation, à défaut d’avoir remporté toutes les victoires dans les Etats que lui promettaient les sondages, il y entrera après avoir rassemblé le plus grand nombre de suffrages de l’histoire du pays, au-delà des 75 millions.
Pour autant, la plus grande erreur serait de se contenter de ce soupir de soulagement. Au bout des quatre années d’un mandat dévastateur, des quelques mois d’une campagne avilissante et des jours, ou des semaines, d’une guérilla juridico-politique consternante, le démocrate finira par s’avancer dans le champ de ruines abandonné par son prédécesseur, avec la tâche immense de tout reconstruire, ou presque.
Pour avoir une chance d’y parvenir, d’abord, il lui faudra rester calme. Ce n’est pas la faculté la plus répandue de notre époque, mais Joe Biden est loin d’en paraître dénué, comme il le montre en ces jours de fortes tensions sur les derniers résultats. Rester impavide face aux cliques fanatiques, et peu fournies, qui peuvent surjouer encore quelque temps le risque d’affrontements civils. Demeurer inébranlable face aux assauts d’avocats qui vont tenter jusqu’au bout de faire croire à l’irrégularité de bulletins de vote indubitablement légaux. Et, surtout, ne pas se laisser distraire par la frénésie de Tweet mensongers et manipulateurs que le président sortant émet à jet continu de la Maison Blanche.
Trump, trou noir d’égocentrisme
Tout sauf imprévisible, Donald Trump continuera sans doute jusqu’au dernier jour de sa présidence, et bien après, à se comporter comme un trou noir d’égocentrisme qui préférerait engloutir la démocratie, le pays entier, et la planète avec, plutôt que de reconnaître une défaite ou un tort. Dans ses déclarations de l’après-scrutin, cette violence envers les institutions et la vérité est allée si loin qu’elle rendait très gênant le rapprochement suivant : avec plus de 70 millions de suffrages, le président défait vient de surpasser le score de Barack Obama lors de sa victoire de 2008. Il devient aussi le candidat républicain qui aura rassemblé le plus de votes dans l’histoire, preuve que, dans l’élection qui s’achève, il n’y aura pas eu une vague, comme annoncé, mais deux, la bleue heureusement plus haute que la rouge.
Pour Joe Biden et son équipe, c’est de cette énormité qu’il faudra prendre la mesure. De ce qu’elle dit d’un mal américain que l’ancien promoteur immobilier a su capter à son bénéfice, mais qui le dépasse très largement. L’inanité de l’action de Trump face à l’épidémie de Covid-19, par exemple, aurait dû lui valoir une sanction électorale majeure. C’est du moins ce qu’estimaient nombre d’observateurs, sans s’aviser que, sous ce courant logique, allant dans le sens de Joe Biden, s’en écoulait un autre, peu visible, en faveur de Donald Trump. Nos enquêtes récentes sur les groupes radicaux sur Facebook ou sur le mouvement complotiste QAnon l’ont montré : depuis cet été, l’épidémie a provoqué une explosion de rumeurs, de peurs, d’accusations, qui, toutes aussi fausses les unes que les autres, ont alimenté un soutien forcené au président sortant, en provenance de toutes les classes sociales. Jusqu’à lui valoir d’excellents scores dans la très grande majorité des comtés qui ont le plus souffert de la maladie.
C’est tout le problème, dont les réseaux sociaux ne sont que les amplificateurs : pour qu’une fausse nouvelle fasse son effet, pour qu’une manipulation fonctionne, il faut que des groupes de personnes aient des raisons d’y croire. Le trumpisme est le symptôme, et non la cause, de ces multiples rancœurs, de ces sentiments d’injustice, ces désespérances, ces peurs, ces égoïsmes aussi, qui alimentent la crédulité des foules.
C’est tout le problème que devra attaquer Joe Biden s’il cherche sincèrement à relever un pays profondément déchiré, gangrené par le racisme, aux infrastructures déliquescentes, au système éducatif inégalitaire, à l’espérance de vie en recul, à la richesse toujours plus concentrée entre quelques mains. Comme ces maux ne frappent pas exclusivement les Etats-Unis, loin de là, comme ils peuvent fabriquer d’autres despotes de type trumpien dans d’autres démocraties, il faut espérer le succès de Joe Biden. Il faut souhaiter que le 46e président de cette grande nation parvienne à donner au soulagement ressenti aujourd’hui la forme d’un espoir.
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