Trump n’est pas parti pour partir
Comment, en remportant plus de voix dans la défaite qu’il n’en avait obtenues lors de sa victoire de 2016, le président a placé ses pions pour un « come back » en 2024.
Une donnée m’a frappé plus que toute autre dans les sondages menés à la sortie des urnes cette année. J’écris depuis plus d’un an que le taux d’approbation d’un président sortant est fortement corrélé sur le plan historique avec le pourcentage du vote populaire qu’il récolte au terme de sa campagne de réélection. Le taux d’approbation de Donald Trump le 3 novembre dernier était de 47 %. Quand tous les votes auront été dépouillés, il aura remporté presque exactement 47 % du vote populaire. En d’autres mots, la corrélation n’est pas simplement forte cette année. Elle est parfaite.
Il existe plus d’une façon d’analyser ces résultats. L’une d’elles tient dans la marge de défaite de Trump au vote populaire : elle est d’environ quatre points, soit le double de celle qu’il avait essuyée dans sa victoire face à Hillary Clinton il y a quatre ans.
Donald Trump a décroché la distinction peu glorieuse de devenir le deuxième président de l’histoire américaine, après Benjamin Harrison en 1888 et en 1892, à perdre le vote populaire à deux reprises. Ultimement, plus de 80 millions d’Américains auront voté pour son adversaire – un record absolu – et, pour l’écrasante majorité d’entre eux, si l’on se fie de nouveau aux sondages menés à la sortie des urnes, l’appui à Biden était d’abord et avant tout ancré dans le désir de congédier Trump.
Amère ironie, le président sortant a obtenu au collège électoral exactement le même nombre de grands électeurs que sa rivale jurée, Hillary Clinton, en 2016 – score qu’il qualifiait depuis quatre ans de « raz-de-marée ». Autre revers fondamental, il est seulement le 11e président à avoir été défait dans une campagne de réélection. Ce n’est pas une mince gifle.
Sauf que.
Il s’en est fallu de peu que Trump soit réélu – vraiment de peu. Au bout du compte, si le vote populaire s’inscrit dans les livres d’histoire, c’est le collège électoral qui détermine qui gagne et qui perd. Et il aurait suffi d’un glissement national de 0,6 % pour que Donald Trump remporte 280 grands électeurs… et un second mandat.
Pour mettre cela en perspective, rappelons-nous ce que bon nombre de commentateurs ne cessent de répéter depuis l’élection de 2016 : une combinaison de moins de 80 000 voix dans trois États – le Michigan, la Pennsylvanie et le Wisconsin – aurait suffi à faire élire Hillary Clinton. Ce qui est vrai.
Or, voici ce qui est également vrai : avec une combinaison de moins de 60 000 voix dans trois États – la Georgie, l’Arizona et le Wisconsin – où plus de 11 millions de votes ont été comptés, Donald Trump aurait été réélu. Autrement dit, si Clinton est passée près de l’emporter en 2016, Trump est passé encore plus près de le faire en 2020.
Les implications pour la suite des choses ne sont pas minces. Les présidents défaits de façon décisive – Herbert Hoover, qui avait perdu 42 États en 1932, ou encore Jimmy Carter, qui en avait perdu 40 en 1980 – sont rapidement jetés aux oubliettes de la politique. Ces perdants tendent même à être utilisés comme arme politique par le parti adverse pendant des années. Ainsi, 12 ans après avoir battu Hoover, le président Franklin Roosevelt agitait encore son spectre pour attaquer son adversaire républicain Thomas Dewey lors de la campagne de 1944 (à une époque où les présidents n’étaient pas limités à deux mandats).
La réalité risque d’être plus complexe après 2020. Oui, au-delà des délires épousés par l’équipe Trump concernant des fraudes massives jamais prouvées, le président quittera bel et bien la Maison-Blanche le 20 janvier prochain. Cela dit, s’il souhaite continuer à exercer une influence sur son parti et, de façon plus large, sur la sphère politique américaine, les choses s’annoncent plutôt bien pour lui.
C’est particulièrement vrai dans la mesure où, même s’il a été battu, Trump a obtenu à la fois un plus grand nombre de voix et un pourcentage du vote plus élevé que quatre ans auparavant – une exception historique en soi. Et comme si cela ne suffisait pas, certaines données préliminaires suggèrent que la hausse de la participation électorale entre 2016 et 2020 l’a en fait aidé bien plus qu’elle lui a nui. Une enquête postélectorale dévoile ce fait remarquable : les électeurs de Trump sont bien plus nombreux que ceux de Biden à vouloir que leur candidat se représente en 2024.
En d’autres termes, même dans la défaite, Donald Trump jouit d’un appui et d’un enthousiasme très importants au sein de l’électorat américain. Ce n’est pas pour rien qu’avant même d’avoir concédé la victoire à Joe Biden, Donald Trump aurait confié à ses conseillers sa très sérieuse intention de se présenter aux prochaines élections – lui qui sera alors toujours admissible pour un second mandat.
Dans les hautes sphères républicaines de Washington, plusieurs ont sans aucun doute poussé un long soupir de soulagement à l’annonce de la défaite de l’homme qui s’est livré à une sorte de prise de contrôle hostile de leur parti en 2016. Reste à voir si cette défaite suffira réellement à les en débarrasser complètement.
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