No Honeymoon for Biden

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Pas de lune de miel pour Biden

En vieux politicien professionnel devenu président sur le tard à force de tenter sa chance, Joe Biden fait bien les choses depuis son élection. Et confond pour l’heure un certain nombre de sceptiques qui ne voyaient en lui que de l’insignifiance consensuelle et du centrisme sans colonne vertébrale. On lui sait gré d’avoir réussi à chasser par l’urne Donald Trump de la Maison-Blanche. C’est un exploit dont la difficulté aura été sous-estimée. Mais M. Biden, qui arrive au pouvoir dans un contexte inédit à tous égards, sait bien qu’il n’y aura pas pour lui de « lune de miel », tant il est attendu au tournant par les électeurs républicains comme par ceux qui lui ont fait confiance, s’agissant de faire face à l’urgence économico-sanitaire que présente la pandémie de coronavirus et à celle, non moins aiguë, des maux sociaux mis en exergue par l’émergence du trumpisme.

Pour avoir commencé à former son gouvernement la semaine dernière, il était entendu que M. Biden allait rompre en relations internationales avec la diplomatie grossièrement transactionnelle et unilatéraliste de M. Trump et se faire le héros d’un retour au « multilatéralisme » et à la collaboration avec les alliés traditionnels des États-Unis. On n’en respire que mieux. Mais au-delà, M. Biden évoque un multilatéralisme idéalisé qui entre, du reste, en contradiction avec ses déclarations annonçant une « Amérique de retour » décidée à assumer un rôle de leadership. Or, le monde a moins besoin d’un retour au statu quo ante que d’une politique étrangère américaine rénovée et démilitarisée. De manière générale, la première fournée de ministres nommés la semaine dernière par M. Biden, et qui pour beaucoup sont issus des années Obama, ne dessine pas plus de changement dans l’avenir que de continuité.

C’est en matière économique qu’il semble manifester la volonté la plus affirmée de chambardement, à voir les têtes progressistes dont il s’entoure pour s’attaquer à la catastrophe d’inégalités que sont devenus les États-Unis. Dans l’immédiat pandémique, un gouvernement Biden fera comme Justin Trudeau au Canada et dépensera sans compter pour soutenir le marché de l’emploi et élargir le filet social. Il n’y a pas autre chose à faire, sauf à bouder le problème comme l’a fait M. Trump.

Parler d’« équipe du tonnerre », par allusion à nos années 1960, est peut-être exagéré, mais il n’en reste pas moins que le cabinet économique de M. Biden ne rompt pas qu’avec Donald Trump, il prend aussi ses distances — en penchant à gauche — d’avec ce que fut la présidence de Barack Obama qui, sous son verbe inspiré, aura finalement navigué en centriste presque conservateur sur le plan économique — et non sans se montrer complaisant à l’égard de Wall Street.

Voici donc que Janet Yellen est nommée secrétaire au Trésor ; que Cecilia Rouse l’est à la tête le Conseil des conseillers économiques ; et que Neera Tanden devient directrice du puissant Bureau de la gestion et du budget. Trois organismes influents au cœur du pouvoir, faisant partie du Bureau exécutif du président. Et trois femmes qui se sont concentrées sur la défense des droits des travailleurs, une plus grande justice fiscale et la diminution des discriminations raciales et sexuelles dans l’économie. Qu’elles gagnent en influence dans un gouvernement démocrate constitue tout un contraste avec, par exemple, un Larry Summers, qui fut un acteur influent sous Clinton et Obama et un apôtre des déréglementations bancaires et financières qui ont débouché sur la Grande Récession de 2008.

M. Biden est allé dire récemment que les syndicats allaient avoir dans son gouvernement un « pouvoir accru ». Mme Tanden, que les républicains ont prise en grippe — ce qui compliquera sa confirmation par le Sénat —, a déjà dit considérer que les inégalités actuelles étaient le résultat de « décennies d’attaques conservatrices contre les droits des travailleurs » et que « les syndicats sont un puissant véhicule pour faire entrer les travailleurs dans la classe moyenne ».

On croirait entendre le Parti démocrate des années 1960, par un autre mouvement de retour en arrière. Comme si son establishment prenait enfin conscience de ses responsabilités dans la montée du populisme à la Trump. C’est dire à quel point l’aile gauche du parti a gagné en influence, de l’émergence de Bernie Sanders en 2016 au rôle qu’ont joué les mouvements populaires dans la mobilisation de l’électorat en 2020. M. Biden, qui est assez vieux pour savoir ce qu’est devenu son parti, et pour y avoir contribué, n’a pas fini d’arbitrer les conflits entre ses différentes forces. Le Parti démocrate est en plein réalignement, ce qui annonce des débats forcément et férocement utiles à la vie démocratique américaine.

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