L’élection de Joe Biden comme prochain président étant maintenant officiellement confirmée par le collège électoral américain, Le Devoir fait un tour d’horizon de ses grandes promesses et des conséquences qu’elles pourraient avoir pour le Canada. Dernier arrêt aujourd’hui : les ambitions militaires des États-Unis pour la sécurité mondiale, qui pourraient exclure le Canada des grands joueurs internationaux.
Le retour prochain d’un gouvernement américain prônant le multilatéralisme et la collaboration avec ses alliés est plus que bienvenu pour le Canada. Tour à tour, Justin Trudeau et son équipe s’en sont réjouis. Mais cette volonté de Joe Biden de coopérer avec ses partenaires pour contrer la Chine et la Russie risque aussi de se traduire par une demande à ses alliés de bonifier leurs budgets et leur soutien militaires — ce que le gouvernement canadien ne pourra probablement pas offrir à son voisin américain.
Le Canada a l’habitude de voir les États-Unis lui demander d’augmenter ses dépenses en matière de défense, en tant que membre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Le ton avait monté sous la présidence de Donald Trump, qui reprochait publiquement à ses alliés de ne pas fournir leur juste part d’effort et qui menaçait de quitter l’alliance atlantique.
« Il y aura une certaine continuité et certains changements sous le nouveau gouvernement, en ce qui a trait à l’OTAN », résume Douglas Lute, ancien ambassadeur américain au Conseil de l’Atlantique Nord de l’OTAN et aujourd’hui chercheur à l’Université Harvard.
« Le premier grand changement sera que le président Biden va se réengager pleinement et très rapidement auprès de l’OTAN comme étant l’alliance de sécurité la plus importante pour les États-Unis », assure M. Lute. « Mais il y aura une différence dans sa façon de souligner à nouveau l’importance de l’engagement commun des alliés [de consacrer 2 % de leur PIB au budget de leur défense]. Cet appel se fera désormais en privé, de façon diplomatique, avec respect. Ce qui sera nettement différent de l’approche de Donald Trump. Et qui, bien franchement, aura plus de chance d’être fructueux. »
Le vice-président de l’Institut canadien des affaires mondiales à Ottawa, David Perry, s’attend lui aussi à ce que Joe Biden continue de sommer Ottawa de bonifier son budget de défense. Mais il note que sous le gouvernement Trump, malgré la relation plus houleuse du président avec l’OTAN, ces budgets ont bel et bien augmenté. Le Canada a vu passer le sien de 1 % de son PIB en 2014 — lorsque les pays membres se sont engagés à augmenter leurs dépenses — à 1,45 %, selon ce qui est prévu pour 2020. Dix pays membres atteignent maintenant le seuil de 2 % du PIB (dont les États-Unis) contre trois il y a six ans.
« Donald Trump a beau avoir manifesté de façon impolie et abrupte le souhait de longue date des Américains de voir leurs alliés assumer une plus grande part de la charge, la nature du message était la même », note M. Perry. « L’augmentation de ces budgets ces dernières années nous donnera peut-être un petit sursis. Mais le souhait des Américains de voir une moins grande disparité parmi les effectifs de défense des alliés n’a pas disparu. »
La plateforme électorale de Joe Biden prévient en effet que le président désigné « invitera tous les pays membres de l’OTAN à renouveler leurs engagements ».
Écarté, faute d’investissements ?
Les experts soulignent en outre que le Canada devra, comme ses alliés, continuer de revoir ses budgets de défense afin de pouvoir répondre aux nouvelles menaces à la sécurité qui sont désormais plus sophistiquées.
L’OTAN avait été créée pour contrer la Russie (qui faisait partie de l’URSS à l’époque), mais force est de constater qu’elle n’a pas toujours réussi à le faire ces dernières années, relève le directeur de l’Institut canadien du Wilson Center de Washington, Chris Sands. Comme en témoignent l’annexion de la Crimée en 2014, mais aussi des cyberattaques comme celle qui a récemment ciblé des départements d’État et des entreprises aux États-Unis.
« C’est dans ces nouveaux secteurs qu’il faut investir. Nous devons en faire plus pour contrer ces menaces non traditionnelles », confirme l’ancien ambassadeur Douglas Lute.
Or, le Canada ne parvenait déjà pas à débourser 2 % de son PIB en budget de défense avant même que la pandémie ne ravage son économie. M. Sands prédit qu’il est peu probable que le gouvernement canadien arrive à investir encore davantage pour aider les États-Unis à contrer l’évolution de ces menaces. « Cela aura des conséquences à terme », estime-t-il.
À son avis, les Américains hésiteront à inclure le Canada dans leurs initiatives internationales — notamment dans le Pacifique, pour contrer la Chine — sachant qu’ils ne pourront pas compter sur un soutien militaire suffisant des Canadiens. « Il est difficile pour une puissance moyenne d’être une puissance mondiale. Certains pays réussissent. Mais je crois que le Canada est en train d’atteindre la limite de ce qu’il peut faire. »
Présence en Irak
Joe Biden héritera par ailleurs de la décision de Donald Trump de réduire la présence militaire américaine en Irak et en Afghanistan. Le président sortant a ordonné que l’armée ne conserve que 2500 troupes dans chacun des pays (contre 3000 en Irak et 4500 en Afghanistan actuellement), et ce, d’ici le 15 janvier, soit cinq jours avant l’inauguration du président désigné.
Les experts jugent donc peu probable que Joe Biden annule cette décision. Il pourrait cependant ralentir le retrait de ces troupes, qui risquent de ne pas avoir terminé de rapatrier une partie des opérations qu’elles ne pourront plus assurer en nombres réduits. Lorsque le Canada a clos sa mission en Afghanistan en 2014, il a fallu un an pour tout boucler, rappelle David Perry.
Ce retrait partiel des Américains risque de mettre en péril la présence d’autres alliés sur le terrain, notamment le Canada. Car les Américains leur offrent un soutien essentiel en matière de logistique et de renseignements.
L’ancien ambassadeur Douglas Lute croit que le président désigné Biden pourrait justement songer à prolonger cette présence de soutien logistique pour les pays partenaires.
Mais David Perry estime qu’au-delà du défi militaire de rester en Irak et en Afghanistan sans les Américains, il y aura un défi politique pour le gouvernement canadien. « Il va devenir plus difficile pour les politiciens de justifier [la décision] de conserver des troupes canadiennes dans ces pays, si les États-Unis s’en retirent complètement. »
Peu probable, de toute façon, que le Canada soit appelé à augmenter ses effectifs sur le terrain, selon Chris Sands. « Si vous êtes le dirigeant de l’Irak ou de l’Afghanistan, vous voulez un réel soutien militaire, pas juste un soutien symbolique. Et le Canada n’a simplement pas la capacité de faire grand-chose dans ce domaine. » M. Sands estime que la pression augmentera plutôt sur les États-Unis, les Britanniques ou les Français.
L’armée canadienne ne compte plus qu’une dizaine de soldats en Afghanistan, mais la mission en Irak rassemble encore 850 militaires.
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