Joe Biden: des ambitions rapidement freinées par la dure réalité
Dès jeudi, élus et observateurs républicains reprochaient à Joe Biden, qui a signé en trois jours une vingtaine de décrets, de gouverner comme un autocrate, sans consulter le Congrès et sans respecter sa promesse de se faire rassembleur.
L’image n’était pas fortuite : Joe Biden s’est attelé à la tâche dès son arrivée au pouvoir mercredi en signant une pile de décrets présidentiels. Lutte contre le coronavirus et les changements climatiques, changement de cap en immigration. Le nouveau président voulait montrer aux Américains et au reste du monde qu’il était déjà au travail afin de mettre en œuvre son ambitieux programme politique. Il n’a cependant fallu que quelques heures pour qu’il soit rapidement rattrapé par les luttes partisanes, un Congrès qu’il ne contrôle pas tout à fait et une pandémie difficile à freiner.
Les caméras de télévision ont été invitées dans le Bureau ovale tous les jours, depuis l’intronisation du nouveau président. Après qu’il eut signé une dizaine de décrets mercredi, Joe Biden en a promulgué huit autres jeudi et deux derniers vendredi. Le président voulait « se remonter les manches et se mettre au travail », a souligné son attachée de presse Jen Psaki.
Mais dès jeudi, élus et observateurs républicains reprochaient à Joe Biden de gouverner comme un autocrate, sans consulter le Congrès et sans respecter sa promesse de se faire rassembleur.
« Ces décrets et ces mesures — qui contournent le Congrès — […] ne représentent pas un programme visant à unifier le pays », a reproché le représentant républicain Andy Barr, du Kentucky.
Le sénateur Tom Cotton, de l’Arkansas, qui fait partie des candidats pressentis pour la prochaine élection présidentielle, a déploré que Joe Biden ait cassé dès son premier jour une série de politiques du président Donald Trump — en annulant l’interdiction d’entrée pour les ressortissants de certains pays musulmans, la fin de l’accès à un permis de travail pour les immigrants arrivés illégalement aux États-Unis lorsqu’ils étaient mineurs, la construction du mur à la frontière avec le Mexique ou celle de l’oléoduc Keystone XL.
« Le président a prêché les vertus de l’unité, depuis la scène de la cérémonie d’intronisation, mais ensuite, dans le Bureau ovale, il a signé [une série] de décrets », a reproché le sénateur Cotton sur les ondes de Fox News, en arguant que c’est « un mauvais départ ».
Le président Biden a signé, en trois jours, plus du tiers du nombre total de décrets adopté par Donald Trump en un an en 2017 (19 contre 55).
« Le président Biden parle comme un centriste, mais il gouverne comme quelqu’un de l’extrême gauche », a renchéri sur Twitter le sénateur Marco Rubio, lui aussi un probable candidat républicain pour la présidentielle dans quatre ans.
Réticences au Congrès
Les sénateurs Rubio et Cotton ont en outre rejeté d’emblée le projet de loi en matière d’immigration confié au Congrès par le nouveau président. Joe Biden souhaite ainsi offrir un parcours vers la citoyenneté américaine à quelque 11 millions d’immigrants sans papiers et miser sur la technologie pour sécuriser la frontière avec le Mexique plutôt que le mur qu’espérait Donald Trump. Un projet de loi « voué à l’échec », a tranché le sénateur Rubio cette semaine avant même que Joe Biden ne devienne officiellement président.
Idem pour son plan de relance pour la COVID-19 de 1900 milliards de dollars américains. Même les sénateurs républicains les plus modérés, dont les démocrates auront besoin s’ils veulent le faire adopter, ont semblé s’y opposer.
Le président Biden parle comme un centriste, mais il gouverne comme quelqu’un de l’extrême gauche
— Marco Rubio
Le sénateur Mitt Romney, de l’Utah, a rappelé que le Congrès venait d’adopter un plan de 900 milliards de dollars. « Je ne cherche pas de nouveau programme dans un avenir immédiat. »
La sénatrice du Maine, Susan Collins, a quant à elle noté que ces 900 milliards, votés fin décembre, n’ont pas encore été entièrement distribués. Un nouveau plan de relance deux fois plus gros lui semble « prématuré ».
Les démocrates ont repris le contrôle du Sénat cette semaine. La Chambre haute étant répartie 50-50, c’est la vice-présidente Kamala Harris qui tranchera les votes à égalité. Mais les démocrates ont besoin d’atteindre 60 votes pour éviter le « filibuster » qui permet de retarder ou de bloquer des projets de loi.
Une pandémie déjà enracinée
Outre ces obstacles annoncés à ses ambitions politiques, Joe Biden a également hérité d’un pays déjà ravagé par la pandémie. Les États-Unis ont franchi le cap des 400 000 morts mardi. Plus de 24 millions d’Américains ont attrapé le coronavirus.
Le président, qui a fait de la lutte contre la COVID-19 la priorité absolue de son début de mandat, a proposé son ambitieux plan de relance pour remettre l’économie américaine sur pied. Il a aussi commandé l’approvisionnement d’équipement pour bonifier la capacité de vaccination du pays, commandé la mise sur pied de 100 centres de vaccination fédéraux et ordonné le port du masque dans tous les lieux sous autorité fédérale, de même qu’à bord des transports inter-États. Pour ce qui est du reste du pays, Joe Biden a lancé le défi « 100 jours masqués », afin d’essayer de convaincre les Américains d’adopter cette pratique ridiculisée par son prédécesseur depuis un an.
L’objectif de vacciner 100 millions d’Américains dans ses 100 premiers jours semble en voie d’être atteint. Les États-Unis vaccinent déjà environ un million de personnes par jour. Mais à ce rythme, il leur faudra plus d’un an pour fournir deux doses de vaccin aux 209 millions d’adultes américains, a prévenu l’une des membres du comité consultatif du gouvernement, la Dre Celine Gounder.
La stratégie de vaccination de l’équipe Biden part cependant de loin, puisque le gouvernement Trump les a longtemps privés de séances d’information, note Benjamin Brunjes de l’Université de Washington. « Plutôt que de pouvoir se mettre au travail immédiatement, Joe Biden doit commencer par comprendre l’état de la situation. […] Il faut prévoir un délai », note ce professeur adjoint de politique publique.
Tout dépend d’États récalcitrants
En attendant, le président martèle donc que les citoyens devront continuer de pratiquer la distanciation physique et de porter le masque. Or, les consignes en la matière et la réouverture sécuritaire des écoles et des entreprises relèvent des États, rappelle William Resh. Le port du masque ordonné par Joe Biden au fédéral cette semaine demeure donc symbolique. « Il s’agit essentiellement surtout de donner l’exemple », résume ce professeur associé à l’École de politiques publiques de l’Université de Californie du Sud.
Un sondage de cette université révélait cette semaine que seuls 51 % des Américains portent un masque lorsqu’ils sont en contact étroit avec des membres d’une autre famille.
M. Resh estime néanmoins que le président Biden peut avoir un important « pouvoir de persuasion » sur les dirigeants des États, notamment en assortissant de conditions certains programmes d’aide financière — comme le fait souvent le fédéral avec les provinces au Canada — ou encore en menaçant d’imposer certaines réglementations en matière de protection des travailleurs, par exemple.
Le simple fait pour le président de marteler un « message cohérent » avec celui de ses instances de santé publique pourrait en outre aider à convaincre les États et leurs citoyens de modifier leurs comportements. « Ce serait déjà un progrès » par rapport au gouvernement précédent, fait valoir le professeur Resh.
Car une étude qu’il a menée auprès d’électeurs moyens a révélé que ces derniers ne savaient qui écouter lorsque le président Trump et le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies prônaient des approches différentes. « Lorsqu’il y a uniformité du message entre les agences gouvernementales et le président, surtout lors d’une crise de santé publique, cela est susceptible d’avoir au moins une influence marginale sur l’opinion publique et son comportement. »
Joe Biden a reconnu qu’il ne parviendra pas à renverser la cadence avant quelques mois. Le bilan des morts aux États-Unis risque de dépasser un demi-million en février, a-t-il prévenu. « Mais permettez-moi d’être clair : nous allons nous en sortir », a-t-il promis malgré tout.
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