In the United States, There Can Be No Reconciliation without Acknowledgement of the Facts

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Dans sa chronique du 22 janvier 2021, « Réconcilier les Américains ? », Christian Rioux présente une feuille de route pour la réconciliation des États-Unis. Voici ma réponse.

En premier lieu, Rioux suggère que les médias et les membres du parti démocrate ont exagéré la sévérité des événements du 6 janvier 2021. L’utilisation d’hyperboles constituerait une barrière à la réconciliation et à l’unification éventuelle du pays, puisque ces manifestants n’étaient que des « personnages de Carnaval ».

Contrairement à ce que prétend Rioux, les insurrectionnistes qui ont attaqué le Capitole, directement encouragés par leur président qui donnait un discours à proximité du Capitole, visaient spécifiquement à renverser les résultats de l’élection par l’arrêt et le renversement du décompte du vote électoral. Le but était aussi de kidnapper et d’assassiner des membres du Congrès.

En effet, si l’attaque du Capitole apparaissait désorganisée et que le Q.I. moyen des manifestants semblait avoisiner le nombre de régions administratives du Québec, les enquêtes ont révélé que l’attaque avait été planifiée de manière rigoureuse depuis plusieurs mois sur des plateformes telles que Reddit, TheDonald.win, Telegram et Parler. De nombreux participants discutaient ouvertement des outils nécessaires pour défoncer des portes et de méthodes pour camoufler leurs armes à feu jusqu’à Washington D.C.

Pendant l’attaque, de nombreux manifestants hurlaient « Hang Mike Pence ! » au moment où une potence était construite à l’extérieur du Capitole. Un individu a déposé des bombes tuyaux devant les bureaux des partis républicain et démocrate. De nombreux manifestants ont battu à mort Brian Sicknick, un policier du Capitole. Un article récent de NPR relatait d’ailleurs que 20 % des individus mis en accusation étaient des soldats actifs ou des vétérans de l’armée américaine, alors qu’ils ne représentent que 4 % de la population américaine. Ces individus n’étaient pas des touristes égarés. Ils ont été entraînés à tuer.

Et la réponse de Donald Trump à cette attaque ?

« We love you, you’re very special. Go home in peace now. »

Cette attaque n’était pas le résultat d’une frustration désorganisée d’individus désaffranchis. Il s’agit d’une tentative d’insurrection organisée par des individus violents, des suprémacistes blancs et des miliciens d’extrême droite.

En deuxième lieu, Rioux sous-entend que l’électorat républicain serait « victime de la mondialisation » et que les démocrates seraient le parti de l’élite, ce qui contribuerait à terme à nourrir un sentiment de dédain de l’élite envers les républicains.

N’en déplaise à Rioux, les républicains sont généralement plus fortunés que les démocrates. Biden a reçu 57 % des appuis de ceux qui gagnent moins de 50 000 $ par année alors que 54 % de ceux qui gagnent au-dessus de 100 000 $ ont soutenu Trump. Si certains individus travaillant dans des industries polluantes telles que l’extraction du charbon et la fracturation hydraulique ont soutenu Trump pour préserver leurs emplois, on doit reconnaître que l’argument entourant l’anxiété économique comme facteur explicatif du soutien à Trump ne tient tout simplement pas la route.

De nombreux chercheurs se sont penchés sur le phénomène. Une recherche effectuée par le Public Religion Research Institute après l’élection de 2016 détermine les craintes de « remplacement culturel » (cultural displacement) par la classe ouvrière blanche des États-Unis comme facteur majeur du soutien pour Donald Trump. Une étude d’Amherst College définissait les attitudes racistes et sexistes comme des facteurs centraux dans la décision électorale des Américains. Finalement, une étude de la National Academy of Sciences d’avril 2018 montrait que les régions ayant soutenu le président Donald Trump ne présentaient pas de signe de déclin économique. C’est la victimisation perçue des Américains blancs qui considéraient que les Blancs étaient plus discriminés que les Afro-Américains, que les chrétiens étaient plus discriminés que les musulmans et que les hommes étaient plus discriminés que les femmes, qui explique le soutien à Donald Trump.

Unir le pays sera une tâche titanesque pour Joe Biden. Des sondages récents nous apprenaient que 56 % des républicains disent croire « en totalité ou en partie » à la conspiration QAnon selon laquelle les démocrates auraient un réseau souterrain de pédosatanistes violeurs d’enfants, alors que 72 % des électeurs républicains continuaient de remettre en question les résultats de l’élection et 82 % des républicains soutiennent encore Donald Trump, malgré sa réponse désastreuse à la COVID-19 et ses actions le 6 janvier 2021.

Biden devra s’affairer à unir le pays et s’affairer à la guérison des profondes blessures infligées qui affligent les États-Unis.

Mais pour guérir, il faut apporter un diagnostic juste. Parce qu’il n’y a pas de réconciliation sans reconnaissance des faits. Pas d’unité sans vérité.

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Réponse du chroniqueur :

« Il y a l’émeute, il y a l’insurrection ; ce sont deux colères ; […] la guerre du tout contre la fraction est insurrection ; l’attaque de la fraction contre le tout est émeute », écrivait Victor Hugo. Pour faire un Printemps arabe ou une Commune de Paris, il ne suffit pas d’être armé, d’avoir des intentions criminelles ou d’appartenir à des groupes d’extrême droite. L’insurrection est un phénomène de masse. Jamais, les mutins du Capitole n’ont joui d’un véritable soutien populaire. Le 20 janvier, lorsque le nouveau président a prêté serment, il n’y avait plus un chat. Quant à une tentative de coup d’État, cela ne se fait pas sans soutiens dans l’État, la police ou l’armée. Des soutiens que les fanatiques du Capitole n’ont jamais eus.

Au-delà des critères moraux qui vous appartiennent, l’électorat de Donald Trump ne se distingue pas tant par ses revenus que par sa faible diplomation et son éloignement des grands centres qui profitent de la mondialisation. Sa victoire s’était jouée en partie dans des États qui avaient souffert de la désindustrialisation. Le Buy American Act, par lequel Biden se fait aujourd’hui encore plus protectionniste que Trump, montre bien que c’est en reconquérant ces États qu’il a assuré sa victoire et qu’il pourra unir ses concitoyens. Certainement pas en les traitant de « sexistes », de « racistes » et… d’« insurrectionnistes » (!). Comme disait Camus, « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. »

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