Voldemort

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Voldemort

C’est un peu comme si Washington était dans l’œil du cyclone. La poussière du 6 janvier retombe sur le Parti républicain, le vent siffle entre les branches constitutionnelles à Washington, les bourrasques s’infiltrent dans les interstices du Capitole, comme si toute l’agitation avait laissé place au silence. Dans le même temps, la majorité des élus républicains au Congrès tournent la tête de l’autre côté, les uns s’opposant majoritairement (139 sur 211) à la procédure de destitution à la Chambre et les autres (seuls cinq républicains ont divergé) votant au Sénat contre la tenue du procès contre l’ancien président.

Ce silence surréaliste trouve ses racines loin de la capitale : plusieurs indicateurs laissent entendre que, sur le terrain, le glissement entamé au cœur du Parti républicain est manifeste, voire inexorable. Comme si les mangemorts s’agitaient encore dans l’ombre. L’ancien président a laissé nombre d’horcruxes derrière lui (ces objets dans lesquels un sorcier, pour poursuivre avec les références au roman de J. K. Rowling, peut enchâsser une partie de son âme pour garantir son immortalité en cas de disparition charnelle).

Au nombre desquels le spectre d’un parti patriote à naître. Les émeutiers du 6 janvier, plus vocaux que jamais. Les législatures républicaines, où les populistes trumpiens sont plus présents et actifs que cela ne paraît au niveau des États fédérés. Mais aussi dans les institutions fédérales. Avec par exemple, la réélection sans opposition à la tête du Republican National Committee, de la fidèle trumpiste Ronna McDaniel — qui a annoncé que son institution ne ferait pas barrage à un retour de l’ancien président en 2024. Avec, à la Chambre, plusieurs représentants, figures de proue du trumpisme décomplexé, qui contribuent à légitimer des discours autrefois jugés marginaux et violents : la congresswoman du 14e district de Géorgie, Marjorie Taylor Greene, entrée en fonction en ce début d’année, qui véhicule des théories autour de rituels sataniques impliquant les démocrates ou soutient que les fusillades à Newtown et à Parkland sont des mises en scène ; des représentants dont la proximité avec les groupuscules d’extrême droitene sont plus à démontrer, comme Andy Biggs en Arizona avec les Oath Keepers, Lauren Boebert du Colorado et ses liens avec les Three Percenters, Matt Gaetz de Floride avec les Proud Boys, Paul Gosar d’Arizona, avec par exemple son soutien à la rébellion antigouvernementale de Cliven Bundy au Nevada.

Mais cela va plus loin encore, au cœur des États, et du prochain cycle électoral qui débutera officiellement dans 11 mois. Au Michigan, où le représentant Peter Meijer, nouvellement élu à la Chambre des représentants en novembre dernier, fait face à des vents contraires en raison de son vote en faveur de la destitution : un adversaire virulent a déjà fait les démarches pour se présenter face à lui aux primaires de 2022. En Arizona, où le parti républicain de l’État a envoyé un signal clair aux membres de l’establishment et aux républicains plus modérés en sanctionnant Doug Ducey (le gouverneur républicain de l’État qui a certifié les résultats), et en réélisant une trumpiste ultraloyaliste à la tête du parti de l’État. Au Wyoming, où Liz Cheney, une des dix représentants républicains à avoir voté pour la destitution de l’ancien président à la Chambre, voit déjà le couperet des primaires se balancer au-dessus de sa tête, alors que trois candidats sont en lice pour prendre sa place tandis que ses collègues à la chambre tentent de la déchoir de son poste de présidente du caucus républicain.

Le message n’est pas même subliminal. Si l’ancien président n’est plus aux commandes du pays, il semble encore avoir une main sur le volant du parti. Le 6 janvier, avant que tout ne s’emballe, le président avait en effet lancé un appel à ses partisans, leur intimant de faire des primaires impliquant des républicains qui lui tourneraient le dos « un enfer ». Ainsi, le comité politique Trump Save America, fort de ses 200 millions de dollars en banque, joue déjà un rôle actif dans le cycle électoral de 2022 et dans la campagne contre Liz Cheney. Plusieurs donateurs ont déjà placé dans leur ligne de mire les républicains qui ont « trahi » la cause trumpienne et annoncé qu’ils soutiendraient leurs opposants aux primaires. En Pennsylvanie, en Ohio, en Caroline du Nord où les sénateurs républicains sortants (Toomey, Portman et Burr) ont annoncé qu’ils ne se représenteraient pas, c’est une bataille rangée qui s’annonce au sein des antennes républicaines de ces États. D’autant que la pandémie ajoute à la complexité de la scène politique : la distanciation contribue à diminuer l’emprise de la structure partisane « classique » sur le déroulement du cycle électoral, au profit des candidatures plus marginales, mobilisant les réseaux sociaux.

La menace est d’autant plus grande que plusieurs sondages (parmi lesquels Economist/YouGov, CNN) montrent qu’une majorité de républicains approuvent la performance de l’ancien président (aux 4/5e), et que trois quarts d’entre eux considèrent que l’élection est frauduleuse et s’opposent à sa destitution. En d’autres termes, la base est derrière l’ancien président. Ce dont atteste la vigueur avec laquelle un éventail considérable de médias conservateurs soutient l’homme de Mar-a-Lago et ses fidèles : il faudra à l’establishment du Grand Old Party bien plus qu’une baguette magique pour trouver une solution aux fractures qui pourraient consacrer sa perte.

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