Plus unis sur le ton… mais sur le fond ?
Joe Biden tiendra-t-il sa promesse de réunifier les États-Unis en tendant la main aux républicains modérés, ou restera-t-il campé sur la ligne partisane pour plaire à la gauche de son parti ?
La présidence Biden commence déjà à avoir des airs de « déjà-vu » de la présidence Obama. C’est de bon augure pour les partisans démocrates — mais moins pour ceux souhaitant la réunification d’un pays si âprement divisé.
Dans les heures et les jours ayant suivi son assermentation, Joe Biden a multiplié les décrets présidentiels à une vitesse effarante. En fait, il en a signé davantage en une semaine que ses trois plus récents prédécesseurs combinés dans la même période.
Et dans tous les cas, les décrets venaient plaire à la base de gauche du Parti démocrate : arrêt de la construction du mur à la frontière mexicano-américaine ; suspension des déportations d’immigrants clandestins ; et retrait du permis de l’oléoduc Keystone XL, pour ne nommer que ceux-là. Ces décisions avaient déjà été largement télégraphiées par l’équipe Biden, et ne devaient donc surprendre personne.
Le premier test réel de la promesse de Biden de « réunifier l’Amérique » — l’engagement phare à la fois de sa campagne présidentielle, puis de son discours inaugural du 20 janvier dernier — a débuté après la signature de ces décrets, lorsqu’est venu le temps pour lui de soumettre son premier projet majeur au Congrès : un gigantesque plan d’aide économique.
Un plan partisan ou bipartisan ?
Contrairement à un décret, un projet de loi ne peut être adopté simplement par la signature d’un seul homme. Il nécessite que les deux chambres du Congrès s’entendent sur un plan qui sera ensuite paraphé par le président. Et, à la suite des élections de 2020, les deux chambres sont à parité presque parfaite : majorité démocrate de 222 à 212 à la Chambre des représentants, et égalité de 50 à 50 au Sénat (que les démocrates contrôlent officiellement grâce au pouvoir de briser les égalités que détient la vice-présidente démocrate, Kamala Harris).
En raison de cette dynamique, Biden se retrouve devant un choix difficile : miser sur la coopération entre les deux partis, ou faire adopter son plan sur une base strictement partisane. Les deux approches comportent des risques pour le nouveau président.
Dans le premier cas, accepter la perche tendue par les sénateurs républicains plus modérés, comme Mitt Romney, de s’entendre sur un plan d’aide plus modeste et ciblé impliquerait de frustrer l’aile gauche de son parti, présentement enthousiaste de contrôler l’appareil gouvernemental à Washington.
Dans le second cas, Biden ferait essentiellement un pied de nez à sa propre promesse, en appuyant une approche unilatérale de son parti qui adopterait le plan sans compromis ni réel appui républicain, et ce, alors qu’il s’agit de la toute première mesure d’importance considérée par le nouveau Congrès.
Échos d’Obama
Barack Obama s’était hissé à un statut de star politique presque instantanément, le temps de son discours à la convention nationale démocrate de 2004. Il avait offert un vibrant plaidoyer pour l’unité nationale, rappelant qu’« il n’y a pas les États bleus, il n’y a pas les États rouges, il y a les États-Unis d’Amérique ».
Répétant ses appels à la coopération pendant sa campagne présidentielle de 2008, il avait vite été aux prises avec une réalité plus dure une fois en fonction, en janvier 2009. Le pays vivant à l’époque la pire crise économique depuis la Grande Dépression — conjoncture dont Biden hérite littéralement à son tour aujourd’hui —, Obama avait comme première priorité de faire adopter un plan d’aide économique massif de l’ordre de quelque 800 milliards.
S’étirant sur plus de 400 pages et visant à injecter des fonds publics dans une foule de programmes, le plan était jugé par les républicains du Congrès comme étant trop dépensier et pas assez ciblé. Dans une rencontre à huis clos plus tard, rapportée par Bob Woodward dans l’un des ouvrages les plus importants sur l’ère Obama, le nouveau président a déclaré aux chefs de file républicains : « Les élections ont des conséquences. Et j’ai gagné. »
Obama avait raison : non seulement il avait gagné, mais son parti était également majoritaire au Congrès. Et il pouvait dire, non sans raison, que les républicains étaient mal placés pour parler de responsabilité fiscale après avoir appuyé des déficits records pendant la précédente présidence de Bush.
Le plan d’aide économique fut donc adopté en février 2009 à la Chambre des représentants, où la totalité des 176 élus républicains présents votèrent contre. Les lignes de démarcation étaient tracées — et le puits déjà empoisonné.
Plan national de bourse du carbone ; Obamacare ; réforme de Wall Street ; réforme du système d’immigration ; accord sur le programme nucléaire iranien : pour les huit années suivantes, pas une seule mesure majeure ne jouit d’un réel appui des deux partis à Washington. Et Obama, qui avait entamé son mandat avec un taux d’approbation avoisinant les 70 %, avec de fortes proportions d’électeurs indépendants et même républicains prêts à lui donner une chance, a fini par passer la majeure partie du temps coincé autour des 45 % à 50 %, continuellement soutenu par le noyau dur de son propre parti.
Évidemment, cela ne l’empêcha pas de se faire réélire en 2012, avec 51 % des voix. Mais Obama laissa à son successeur un pays encore plus divisé que celui dont il avait hérité — et ce successeur, pour sa part, ne fut pas tout à fait un agent rassembleur.
L’aile gauche démocrate étant encore plus combattive qu’elle ne l’était il y a à peine quelques années, il existe aussi pour Biden, s’il ne gouverne qu’avec l’appui de son parti, le danger politique plus important d’éventuellement perdre une bonne partie du centre de l’échiquier politique américain — qui fut absolument vital à sa victoire en novembre dernier.
Depuis le 20 janvier, les tweets enflammés, les insultes personnelles et les agissements outranciers n’ont plus la cote. Le ton s’est déjà amélioré. La question est maintenant de savoir si, sur le fond, le nouveau président pourra se distinguer non seulement de son prédécesseur immédiat, mais de celui ayant précédé ce dernier.
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