American Blaze, Canadian Smoke

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Ah ! Comme il est facile de notre côté de la frontière de rouler les yeux en suivant le procès en destitution de Donald Trump qui a débuté mardi. Le tout est pas mal bouclé à l’avance puisque la grande majorité des sénateurs républicains ont déjà dit qu’ils ne le condamneront pas.

Ah ! Comme il est facile de se sentir à l’abri des turpitudes de la démocratie américaine, révélée bien fragile par quatre ans d’une présidence populiste et par un assaut violent du Capitole.

Mais quand le feu est pris chez le voisin qui habite une belle grosse maison que beaucoup croyaient ininflammable, c’est le meilleur moment de vérifier comment se portent nos propres murs coupe-feu.

Or, il s’avère que ces derniers ne sont pas très étanches.

Presque tout-puissant, le premier ministre

Il y a dans la monarchie constitutionnelle canadienne beaucoup moins de garde-fous contre les dérives potentielles d’un premier ministre autoritaire ou populiste à la tête d’un gouvernement majoritaire.

Ce constat n’est pas nouveau. Le politologue canadien Donald J. Savoie y arrivait en 1999 dans son livre Governing from the Centre [Gouverner du centre] qui est depuis devenu un classique enseigné dans les universités du pays entier. Il y avance que depuis Trudeau père, le système canadien concentre les pouvoirs de manière démesurée dans les mains du premier ministre et de ses proches conseillers.

Il est difficile de le contredire. Le premier ministre nomme tous les ministres et les sous-ministres. Les ministres et députés du parti auquel il appartient font rarement obstruction, respectant religieusement la discipline de parti depuis une centaine d’années. S’ils tiennent tête au premier ministre, ce dernier peut les dégommer ou les mettre à la porte du caucus. On peut notamment penser aux cas de Jody Wilson-Raybould et de Jane Philpott, expulsées en 2019 par Justin Trudeau.

Dans le cas d’un gouvernement minoritaire, les députés peuvent retirer leur confiance au premier ministre, mais encore une fois, la discipline de parti rend ce scénario improbable si le gouvernement est majoritaire.

Il y a bien sûr la Cour suprême, qui a une indépendance certaine du chef du gouvernement et peut bloquer des lois anticonstitutionnelles, mais elle n’a pas le pouvoir de démettre un élu de ses fonctions.

Et on ne peut pas se tourner vers la Constitution pour trouver des solutions : dans le texte, le poste de premier ministre n’existe même pas ! Tout est basé sur le respect de conventions et sur une culture politique modérée qui perdure maintenant depuis plus d’un siècle. Mince, mince pare-feu contre un électron libre.

Le contraste américain

En comparaison, le système américain semble blindé avec tous les contre-pouvoirs en place. L’indépendance relative des élus du Congrès par rapport à leur parti. Les États qui supervisent le processus électoral fédéral plutôt qu’un organisme qui relève de ce même gouvernement. Les centaines de nominations politiques qui doivent être revues par le Sénat élu après de longues discussions.

Si ce système-là a pu déraper, alors imaginez le nôtre !

Surtout que les quatre dernières années nous ont appris qu’une bonne partie des démocraties occidentales tiennent debout parce que les politiciens en place acceptent de suivre des règles non écrites, comme celle de concéder une victoire électorale à leur rival. Les experts de la spolitique américaine ont passé cette période à se demander ce qui pouvait être fait quand le locataire de la Maison-Blanche décide de laisser au pas de la porte le respect de ces traditions politiques. Lorsqu’il ment éhontément. Lorsqu’il démet de leurs fonctions des fonctionnaires qui ne veulent pas faire ses basses œuvres. La réponse était souvent : pas grand-chose. Et elle serait la même au Canada dans le contexte d’un gouvernement majoritaire.

Dépoussiérer les règles

Heureusement, nous avons le loisir de penser à ces scénarios catastrophes alors que le feu ronronne dans le foyer de notre démocratie. Mais n’est-ce pas le meilleur moment pour penser aux rénovations qui doivent être faites pour garder la maison en ordre ?

À son arrivée au pouvoir en 2015, Justin Trudeau, en entrevue, avait promis de ne pas tomber dans le même piège centralisateur que son père, mais force est de constater que le bureau du premier ministre en mène toujours bien large.

Alors que des rumeurs d’élections fédérales planent dans l’air, il serait temps pour tous les partis de tirer des leçons de l’ère Trump et d’inclure des promesses de réformes dans leur programme politique.

Il y a lieu de revoir notre Constitution – oui, un gros mandat – pour mieux définir le poste de premier ministre. Il est nécessaire de remettre en cause la discipline de parti et de renforcer le rôle et l’indépendance des parlementaires. Il faut aussi débattre de la manière de démettre des élus de leurs fonctions en cas de fautes graves, qui va au-delà de leur volonté à présenter leur démission.

Établir de nouvelles balises demandera une grosse dose d’abnégation et de courage politique, car, ironie du sort, c’est au premier ministre qui bénéficie le plus de l’architecture actuelle de notre système politique que revient le pouvoir de changer la donne. Une autre preuve qu’il est temps d’agir.

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